Le Vénérable W. -12

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Un voyage en Birmanie au cœur du racisme quotidien pour observer comment l'islamophobie et le discours haineux se transforment en violence et en destruction dans un pays a 90% bouddhiste, la religion la plus pacifique et le mode de vie non-violent par excellence.

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CANNES 2017: SÉANCE SPÉCIALE

Le génocide inconnu

Dans l’esprit de Barbet Schroeder, Le vénérable W. est le dernier pan d’une trilogie du mal entamée avec Général Idi Amin Dada (1974) et L’avocat de la terreur (2007). Converti au bouddhisme à l’âge de 20 ans, le réalisateur s’attache dans son nouveau film au génocide méconnu perpétré en Birmanie contre la minorité musulmane des Rohingyas, à l’instigation du mouvement 969 dirigé par le moine extrémiste Ashin Wirathu et dénoncé comme un crime contre l’humanité par l’ONU…le 4 avril 2017. Il a tourné son film à l’aide d’une petite caméra Sony AS7 4K dont il dit "qu’elle crée la beauté en permettant de tout tourner, toujours en lumière naturelle, même si c’est le clair de lune", et y a associé des images prises sur les réseaux sociaux. Il en a confié la voix off à Bulle Ogier, la musique à Jorge Arriagada et le montage à Nelly Quettier, tâche déterminante qui a nécessité neuf mois de travail.

« La haine est certainement le plus durable des plaisirs… » (LORD BYRON)

Dans sa robe couleur safran, ce moine à l'air poupon, humblement assis face à la caméra, provoque d'emblée un élan d'empathie. D'autant qu'une religion qui ne s'embarrasse ni de dieux ni de maîtres pourrait a priori sembler constituer un bon rempart contre tous les intégristes monothéistes prêts à en découdre pour prouver que le seul bon dieu est le leur. Et si le bouddhisme, qui prône un amour sans limite envers tous les êtres, était la solution aux désordres du monde, du moins de ceux du Myanmar (ou Birmanie) ? On se laisse bercer par les paroles apaisantes qu'Ashin Wirathu prononce, son calme charismatique… On écoute sans déplaisir le récit vite brossé de son enfance, son arrivée dans un premier monastère… On verrait presque en lui une victime, un opprimé, devenu un cador de la méditation grâce à neuf ans dans les geôles de la junte militaire. Presque un héros non violent façon Gandhi en quelque sorte… À l'écouter… Puis une petite phrase dérape… Quelques mots mis bout-à-bout qui véhiculent une idéologie si diamétralement opposée aux mantras bienveillants qu'on se pincerait presque en se demandant si on a bien entendu. D'ailleurs le discours repart de plus belle sur les bienfaits de la bonté, de la compassion… C'est alors que notre bon bonze revient à la charge en accusant les Musulmans de « s'entredévorer comme des poissons ». 
Ces dangereux adorateurs d'Allah seraient également devenus aussi véloces que des lapins dans l'art de se reproduire. C'est « la stratégie du sexe » : violer et engrosser autant de femmes que possible pour multiplier leur sale engeance. Une manière imparable de conquérir le monde ! Dans la bouche d'un individu lambda ce serait juste détestable, grotesque… Dans la bouche de ce religieux révéré, ça glace les sangs ! Plus nul doute ne plane : nous voilà plongés dans la fange du racisme ordinaire. L'ennemi à abattre est désormais clairement désigné par Wirathu : c'est la part musulmane du peuple birman (4%), dont la petite minorité des Rohingyas venus jadis du Bengladesh… Méthodiquement, systématiquement, l'inénarrable bien plus que vénérable W. jalonne ses sermons d'invectives venimeuses qui insidieusement s'infiltrent dans les veines d'une société encore convalescente après tant d'années de dictature. Ainsi attise-t-il les braises d'une colère larvée, qui ne demande qu'à s'embraser au moindre incident. Et c'est ce qui ne tardera pas à se produire, comme on le sait… D'autant que Wirathu a créé autour de lui une organisation qui vise à être aussi performante que « la CIA, le Mossad »… Viennent alors les questionnements sur ceux qui avancent à couvert derrière ces illuminés… La place des autorités dans tout cela, celle du prix Nobel de la Paix Aung San Suu Kyi, celle des contrées occidentales ? À qui profitent ces crimes ? 
C'est un film extrêmement dérangeant, faussement neutre. Barbet Schroeder nous dispense de discours moralisateurs qui enfonceraient des portes ouvertes. Grâce à un montage méthodique, sans effet superfétatoire, où sont savamment agencées les interviews actuelles, les images d'archives, les vidéos d'amateurs, il anéantit nos repères, nous amène à analyser. Inutile de se fier à nos premières impressions, à nos sentiments qui nous tromperont plus d'une fois au fur et à mesure que le récit avance. C'est une spirale vertigineuse qui nous engloutit, presque physiquement. Fascinés, paralysés comme autant de petites souris apeurées devant l'énorme serpent. On a beau essayer de décortiquer l'incompréhensible, peut-être ne le comprendra-t-on jamais. Après tout l'inhumanité est aussi une composante de l'humanité. 
Le Vénérable W. vient achever brillamment ce que Barbet Schroeder appelle sa « Trilogie du mal » : le premier volet était en 1974 Général Idi Amin Dada : Autoportrait, le deuxième L’Avocat de la terreur, sur Jacques Vergès, en 2007.