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Une décision de justice vient d'annuler le visa d'exploitation accordé par le CSA au film "La vie d'Adèle" (Palme d'or 2013), en raison de scènes de sexe jugées trop réaliste. L'avertissement portait sur une interdiction aux moins de 12 ans en raison : des "scènes de sexe réalistes" du film "de nature à heurter la sensibilité du jeune public". Ainsi, le ministre de la culture a 2 mois pour procéder à nouvel examen de la demande de visa d'exploitation du film, décision de la Cour administrative d'appel de Paris rendue ce mercredi 9 décembre 2015. Le ministère de la culture a indiqué vouloir introduire un recours devant le Conseil d'Etat. Cette même cour d'appel avait été saisie par l'association "Promouvoir" qui avait été déboutée en septembre 2014 en première instance par le tribunal administratif de Paris. L'association "Promouvoir" s'est également attaquée aux visas de "Love" (Gaspard Noé - 2015), "Saw 3D" (Kevin Greutert - 2010), "Nymphomaniac" (Lars Von Trier - 2013), "Ken Park" (Larry Clark -2002), et "Baise moi" (Virginie Despentes, Coralei Trinh Thi - 1999).
Alors qu’une énième manifestation contre le mariage gay s’achève à Paris, le film La vie d’Adèle reçoit la Palme d’Or. Ainsi, l’on verrait presque en la clôture du 66e Festival de Cannes un symbole. Un symbole qu’on voudrait voir mettre fin à des mois de manifs homophobes, mais aussi un signe fort pour la visibilité lesbienne.
Librement adapté du roman graphique Le bleu est une couleur chaude de Julie Maroh (publié en 2010 aux éditions Glénat) le film d’Abdelatif Kéchiche La vie d’Adèle - chapitres 1 et 2 raconte l’histoire d’une jeune lycéenne de la classe moyenne du nord de la France. Passionnée de littérature, elle tente tant bien que mal de sortir de son déterminisme social. Alors qu’elle se rend à un rendez-vous amoureux avec un garçon de son lycée, Adèle croise le regard d’une jeune femme aux cheveux bleus, Emma, dans les bras d’une femme. La nuit suivante, Adèle rêve à cette inconnue, l’imaginant dans ses draps. C’est ainsi l’histoire de la découverte d’un désir amoureux « différent » de la norme que raconte ce film, mais aussi l’histoire d’une passion amoureuse, d’un couple et de rapports de classes.
Issue d’une famille dans laquelle on dîne le soir en regardant Questions pour un champion et au pragmatisme aigu : pour réussir sa vie, il faut bien la gagner. Adèle, guidée par son ambition à devenir institutrice tente d’échapper à un certain conditionnement social. Lorsqu’elle rencontre Emma, la connexion est instantanée. Emma, elle, est en quatrième année aux beaux arts. Elle vient d’une famille plus cultivée, peut-être plus ouverte et plus aisée.
La confrontation de ces deux mondes – bien que tout ne soit pas si binaire dans la vraie vie - est un terrain intéressant pour Kechiche.
Comme dans ses précédents films L’esquive ou encore La graine et le mulet, Kechiche réussit ici à mettre en scène la confrontation entre deux classes sociales parfois très distinctes. Il parvient tout au long du film à capter une époque particulière avec ses codes mais aussi à cerner les subtilités de langage de milieux culturels différents.
Le découpage du film, sa mise en scène et ses dialogues sont précis. Tout est fait pour mettre l’accent sur cette rencontre entre deux milieux. Cela se remarque précisément bien dans une scène dans laquelle le malaise social d’Adèle et d’Emma éclate subtilement et dont le ton est d’une exactitude presque irréprochable.
Mais mêlé à cela, le film raconte l’histoire d’une grande passion amoureuse sur plusieurs années, une passion émouvante, dévorante. Les personnages sont d’une justesse incroyable, les actrices Adèle Exarchopoulos et Léa Seydoux incarnent à merveille ces deux femmes qui s’aiment, se désirent et se déchirent.
Leur passion et l’histoire de leur couple est universel, qu’elles soient deux femmes n’est plus le centre du film. Ce qui permet l’identification de tout un chacun.
Certes
Parce que même si nous sommes emballés par les exaltations du cœur et de l’esprit, je suis partagée par les exaltations des corps dans le film : la mise en scène de leur passion charnelle, les scènes de sexe.
Tout est filmé en gros plan, les visages, les gestes et les mouvements. Cela aurait pu être juste. Mais on assiste ici à un éventail des pratiques lesbiennes : Emma et Adèle multiplient les positions en un temps record, sans qu’on ait le temps de s’attarder sur les émotions. Et justement, ce sont les émotions qui nous permettent de nous identifier, pas une multiplicité de positions sexuelles.
Ces 6 minutes de sexe se placent ainsi hors du film, comme si Kechiche avait voulu faire un film porno mainstream destiné aux hommes. Enfin, mal intégrées au film, elles cassent la fluidité du départ. Et plus qu’être dommage, c’est agaçant.
Finalement, la douceur revient dans la scène finale du film, lorsqu'Adèle, filmée comme si Rohmer était derrière la caméra, marche peut-être vers les chapitres 3 et 4 de sa vie.
37°2 le matin
Un film qui flotte tellement haut ! À quoi cela tient-il ? À un regard ? Une manière de filmer les choses de la vie. Kechiche affirme que ce n'est pas un film militant. C'est vrai et faux à la fois. Il explose vite les étiquettes qu'on voudrait lui coller, la puissance qui s'en dégage est plus efficace que n'importe quel discours. Un regard ? Celui juste et rare posé sur l'enseignement, les enseignants, ces acharnés qui tentent de rendre accessibles et lumineuses des contrées qui vous semblaient inaccessibles ou ennuyeuses, qui allument des feux qui ne s'éteindront jamais. C'est La Princesse de Clèves qui devient actuelle et vivante, le fastidieux théorème qu'on déguste soudain comme un poème. Combien de doses de patience puisées dans l'inépuisable envie de transmettre, de partager ? Voilà des cours transformés en moments de bonheur spirituel, sensuel.
À la manière d'un peintre impressionniste, en quelques coups de caméra, Abdellatif Kechiche plante le décor : celui de la passion, de la vocation, qui restera en filigrane de son interprétation si personnelle de la magnifique BD Le Bleu est une couleur chaude. Il en élargit le champ, transformant le récit intime en fable sociale sans pour autant trahir l'univers de Julie Maroh : torride, décomplexé mais plein de poésie et de tact.
Un regard ? Celui d'Adèle qui écoute, boit chaque parole du cours de français, s'enflamme à son tour en commentant La vie de Marianne. Si proche de l'héroïne de Marivaux, du haut des ses dix-sept ans elle attend, prête à s'embraser, à ressentir l'Amour. Sous ces lèvres pulpeuses, cette bouche à la moue enfantine, une femme se construit, se découvre peu à peu. Curieuse du monde, sensible à ses injustices, voulant les combattre. Elle teste, essaie, croque, et pourquoi pas les garçons ? Juste pour essayer et parce que c'est bon.
Un regard ? Celui des autres. De la bande de potes, qui taquine, critique, condamne ou soutient. Des parents qui décidément ne comprennent rien à rien. Des intellectuels, artistes que côtoiera Adèle plus tard, porteurs d'une forme inavouée de mépris. Ces regards comme des cocons, des pièges rassurants. Mais Adèle ne cherche pas à être dans un groupe, elle cherche à être tout simplement.
Un regard ? Celui de cette fille aux cheveux bleus qu'elle croise dans la rue. Une sensation furtive, volatile, vite disparue. Le bleu. Ce bleu… Un souvenir que les petits détails de la foule font resurgir malgré elle : un ballon de baudruche, un tissu… Ce bleu qui hante désormais Adèle, dont elle se met en quête inconsciemment, puis de manière de plus en plus assumée, obsessionnelle.
Ce coup de foudre qu'elle va éprouver pour Emma, la fille aux cheveux bleus, dépasse tout, la bouscule comme un raz de marée. Ses paroles qu'elle boit, son corps qu'elle découvre, ce grain de peau… Amour absolu d'une kamikaze de la vie, qui donne tout sans se protéger… et la chute sera rude, poignante quand les sourires se feront moins complices, que chacune se laissera envahir par ses ambiguïtés, ses peurs, ses impuissances, sa dépendance à une classe sociale…
J'ai tout dit ? Je n'ai rien dit, parce qu'il y aura toujours plus ressentir, à analyser. Le discours est limpide, le film lumineux, évident, libre, complexe. Tout y est précis, efficace, calculé. Les lenteurs ne se transforment jamais en longueurs. On voit tout mais ce n'est jamais voyeur. Les scènes d'amour, charnelles, sont troublantes et justifiées. Les sentiments contradictoires fusent en tous sens, vous transpercent, comme un orgasme : tendresse, violence de la sexualité, de l'abandon sous toutes ses formes. Jamais tout cela ne fut mieux filmé. Mais surtout celui qui est derrière la caméra sait se faire oublier. Ce n'est pas l'œil d'un homme qui nous assène ses fantasmes de domination, ce n'est pas non plus celui d'une femme. C'est tout soudain un regard universel qui s'ouvre pour nous, compréhensif et intense, cru et plein de pudeur. C'est fort, bouleversant… Et comme Adèle, on se prend à espérer le retour de la fille aux cheveux bleus : on aimerait d'autres chapitres tant ces deux-là sont passés trop vite.