« La vieillesse, c’est le temps de l’hiver pour les ignorants, et le temps des moissons pour les sages. » (proverbe yiddish et universel)
L’an dernier, on découvrait avec bonheur Deux de Felipe Menighetti, un film subtil qui évoque l’histoire très touchante de la relation interdite entre deux voisines septuagénaires, incarnées magnifiquement par Barbara Sukowa et Martine Chevallier, une histoire d’amour tenue secrète jusqu’à ce qu’un drame ne la dévoile.
Un printemps à Hong Kong pourrait être son pendant masculin et chinois. L’histoire de deux hommes de l’ancien protectorat britannique au crépuscule de leur vie, une vie qui semble rangée et réglée comme du papier à musique. Pak a mené une longue carrière de chauffeur de taxi, sillonnant les rues de la métropole 10 heures par jour. Il est père de famille et se débat avec la préparation du mariage de sa fille déjà largement trentaine, un mariage qui fait jaser au vu du jeune âge du prétendant. Hoi lui est divorcé et vit – comme c’est souvent le cas en Chine où les générations coexistent sous le même toit – avec son fils, sa belle fille et sa petite fille, et il doit subir la bigoterie excessive de son fils qui lui reproche son manque d’entrain dans la pratique religieuse.
Il se trouve que Pak et Hoi ont un secret : régulièrement ils fréquentent un jardin public et des toilettes bien particulières, qui sont des lieux de drague bien connus de la communauté gay. Comme beaucoup d’homosexuels du « placard », ils ont probablement des décennies durant mené une double vie dans un pays où l’homosexualité est tolérée mais n’en est pas moins largement l’objet d’opprobre de la population. Et ne parlons évidemment pas d’un quelconque droit au mariage !
Au-delà des relations fugaces au cœur de l’anonymat un peu glauque d’un sauna, la relation entre Hoi et Pak va devenir de plus en plus intime et amoureuse, chacun trouvant dans l’autre l’âme sœur qu’ils n’ont pas eue ou qu’ils ont perdue.
Le réalisateur Kay Yeung, qui s’est inspiré d’un livre de témoignages de gays seniors, observe avec une infinie tendresse et délicatesse les paradoxes de ces deux personnages, qui doivent conjuguer leurs désirs, leurs nouveaux émois avec l’attachement réel pour leur famille à qui il leur semble évidemment impossible d’avouer quoi que soit et qu’ils ne voudraient pour rien au monde blesser. La construction de la relation entre les deux hommes, au fil de scènes très simples comme un repas préparé ensemble (la cuisine est en Chine le vecteur de lien social par excellence), est analysée en toute intelligence. Parallèlement, dans une culture où la solidarité avec les aînés et leur accompagnement est une valeur sacrée, on observe le projet mené avec courage et détermination par les compagnons de sauna de Pak et Hoi, qui envisagent de monter une maison de retraite pour les gays dépendants, un projet qui a du mal à trouver un porte-parole, tout le monde redoutant le qu’en dira-t-on. L’histoire de cette relation intime devient ainsi peu à peu celle d’un combat pour les droits LGBT, dans un pays-continent où le chemin vers l’acceptation et l’égalité est encore bien long pour cette minorité comme pour bien d’autres.