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Le paradis des riches, c'est l'enfer des pauvres… disait à peu de choses près Victor Hugo ; et même doré, cet enfer-là, au delà des signes extérieurs de confort, peut envahir les têtes et les cœurs. Gente de bien, au titre bien pensé, démontre qu'ici comme ailleurs les meilleures intentions du monde peuvent provoquer des effets contraires à ceux espérés… On ferait bien de s'en souvenir…
Eric est un jeune garçon d'une douzaine d'années, un chouette gamin qui comprend plein de choses et que sa mère, qui ne peut plus le prendre en charge, refile au père dont elle est séparée. Un père, Gabriel, qu'Eric voit débouler dans sa vie avec hostilité, un père maladroit qui ne sait pas par quel bout prendre cet ado qui n'a pas choisi de venir s'installer avec lui alors que le boulot de menuisier qui le fait difficilement vivre ne le satisfait pas vraiment. Un père qui doute de lui comme il doute de tout, et de sa capacité à être père en particulier, incertain et fragile.
L'inconfort et l'instabilité dans laquelle il évolue ne facilitent pas les choses… Alors, quand la grande bourgeoise dont il entretient les menuiseries de sa somptueuse propriété lui propose de prendre sous son aile ce garçon charmant, qui a l'âge de son fiston, il voit là comme l'opportunité formidable de donner à Eric ce qu'il se sent incapable de lui apporter. Ce que propose la « généreuse » Maria Isabel a en effet de quoi en mettre plein la vue : piscine, chambre privée, jeux de toutes sortes, bonne éducation, promenades à cheval… Mais au milieu de la couvée de gamins et adolescents nantis, Eric fait vite figure de vilain petit canard, et l'élan de sentimentalisme épidermique et charitable qui a poussé sa protectrice à lui ouvrir les bras et les portes de sa demeure – élan plus ou moins apprécié par les autres membres de la maisonnée – lui fait ressentir encore plus douloureusement qu'il ne sera jamais à l'aise dans cette classe sociale-là…
Mais si tout cela est le contexte, riche, nourri, subtil, intéressant par mille aspects, le fond de l'histoire, c'est avant tout la difficulté pour le père et le fils d'arriver à se trouver, à se situer l'un par rapport à l'autre, à s'apprivoiser mutuellement. Le fond du problème, pour que les choses se passent bien entre deux personnes, quel que soit le lien familial ou social qui leur est imposé, c'est qu'il faut qu'à un moment un choix s'opère : on n'aime bien que lorsqu'on décide, lorsqu'on choisit d'aimer.
Le réalisateur confie : « ce film-là est intrinsèquement lié à des sentiments de mon enfance… J'y raconte à la fois ma peur de l'abandon, mon rapport traumatique à la figure du père, ma confusion face à celle de la mère, et le sentiment d'imposture que je subis encore aujourd'hui à l'intérieur de n'importe quel groupe familial… »
Il y a tout cela dans le film et Maria Isabel, Gabriel, Eric, et aussi les autres personnages, sont tous passionnants, à mille lieues de ces films dégoulinants de bienpensante compassion : ici on mesure les limites d'une morale de bazar qui nappe de bonne conscience une culpabilité mal digérée… Peut-être l'homme, pour se sentir bien dans ses bottes, a-t-il surtout besoin de justice sociale, de se sentir légitime et non de charité.