« Miracle de l’Hudson »
Qui se souvient du « miracle de l’Hudson » ? De ce côté de l’Atlantique, pas grand monde. Pourtant aux États-Unis en 2009, quand un A320 de l’US Airways réussit un amerrissage en catastrophe sur le fleuve Hudson, l’exploit des pilotes prend rapidement une dimension psychologique inattendue sur un peuple encore traumatisé par les attentats du 11 Septembre et se remettant à peine du choc de la crise financière de 2008.
Qui se souvient de Chesley Sullenberger dit Sully, le commandant de bord de l’avion qui, en 208 secondes, a décidé de la vie de cent cinquante quatre personnes en prenant la décision de se poser sur le fleuve plutôt que de retourner atterrir sur l’aéroport de La Guardia tout proche ? Chez nous pas grand monde, bien que Sully fut immédiatement porté aux nues et élevé au rang de héros de la nation par l’opinion publique et les médias ? À part Michael qui suis les dépêches AFP et qui compare ensuite leur reprise par les grands médias et leurs différents traitements selon l’obédience des dits organes, pas grand monde. Ce que l’on sait encore moins c’est que les assurances des compagnies aériennes et les autorités aéronautiques ont auditionné à charge les deux pilotes, remettant en cause leurs décisions et menaçant ainsi leur carrière et leur réputation.
C’est cette histoire que Eastwood se propose de nous raconter, et en vieux briscard d’Hollywood, il mêle habilement film catastrophe et portrait intime d’un homme ordinaire, devenu héros d’une Amérique en mal de figure positive. Qui mieux que Tom Hanks – avec ses cheveux et sa moustache blanchis, il fait immanquablement penser à Paul Newman – pour incarner cet homme intègre et droit ? Il confère à ce personnage en proie aux doutes la fragilité ainsi que la force de caractère qui siéent à un pilote de ligne en fin de carrière.
Ce qui est en jeu dans ce récit, c’est aussi les rapports de plus en plus déshumanisés qui régissent la vie de nombre d’entreprises. C’est la place faite aux machines, aux ordinateurs au détriment de l’humain. Ce que l’on reproche à Sully, c’est de ne pas avoir suivi la procédure et d’avoir perdu un avion. S’il avait fait ce que les simulateurs de vols ont prouvé par la suite, il aurait dû se poser sur une des nombreuses pistes des aéroports voisins et ainsi ne pas mettre en danger la vie de ses passagers ni celle des habitants de Manhattan. Mais les simulateurs calculent à posteriori, et ne prennent pas de décisions dans l’urgence…
Tout n’est pas parfait dans ce film, bien sûr, on peut reprocher à Eastwood son côté américano-américain, et le fait que son cinéma s’adresse en premier lieu à ses concitoyens. Il n’en reste pas moins un des plus grands réalisateurs encore en exercice à Hollywood. Après le controversé American Sniper, et alors qu’il s’apprête à réaliser un nouveau biopic, celui d’une humanitaire libérée d’une prise d’otage, il dresse le portrait d’une Amérique en perpétuel choc post-traumatique. Ainsi les cauchemars qu’il met en scène et qui accablent son héros sont autant de métaphores de ce que ses compatriotes vivent depuis le 11 Septembre et l’entrée en guerre tout azimut de l’époque. Avec Sully il réussi à faire un feel good movie sur le canevas d’un film catastrophe. Ce qui touche aussi c'est de ressentir à quel point les habitants de New York n’en reviennent pas de pouvoir enfin fêter une bonne nouvelle et à quel point ils en ont besoin. Comme nous tous finalement.