Parmi les petits plaisirs délectables que peuvent vous procurer les films, il y a celui de se plonger dans les secrets de famille des autres. Par exemple dans ceux de ce charmant brun trentenaire : Zino. Alors qu'il se recueille sur la tombe fraîchement creusée de sa mère dans le carré musulman d'un cimetière parisien, il est loin d'imaginer la vague déferlante qui va venir balayer le récit maternel. De son père absent elle lui disait peu. Elle en avait supprimé les traces, les photos. Il se serait volatilisé, aurait abandonné femme et enfant sans une explication ni un regard en arrière. Sujet délicat, rarement abordé, jamais creusé pour ne pas blesser l'épouse délaissée un quart de siècle plus tôt. Mais les histoires que gobe sans broncher un fiston aimant tiennent rarement le choc devant un notaire, catégorie bien renseignée et fouineuse s'il en est, dès qu'il s'agit de droits de succession. C'est ainsi que l'homme de loi va retrouver la trace du paternel prétendument disparu et se faire un devoir de communiquer son adresse.
Bien sûr Zino a tôt fait d'enfourcher sa moto, délaissant quelques heures son boulot passionnant d'accordeur de piano ainsi que le chat Belmelok qui n'en fait qu'à sa tête. Le voilà parti vers le midi, à la recherche du géniteur prodigue. Le nom, Farid Chekib, inscrit sur la boite aux lettres d'un mas provençal jovial et chaleureux lui confirme qu'il est arrivé à destination. La maison est pleine de vie, de femmes, de musique. Il faut dire que Lola, la belle et grande brune qui semble régner sur le lieu, y donne des cours de danse orientale à des élèves plus pulpeuses les unes que les autres, s'appliquant à agiter voluptueusement leur ventre et leur popotin. On prend d'abord le visiteur pour un futur danseur, mais le visage de Lola, troublée, se décompose nettement quand Zino se présente et demande à voir Farid. S'il la prend pour la nouvelle épouse de son père (et comment pourrait-il en être autrement, puisqu'elle porte le même nom de famille ?), nul n'est dupe très longtemps. Même le notaire s'en doutera plus vite que lui : Lola n'est autre que son géniteur, un bien étrange pater ! Mais cette réalité-là, il faudra un moment à Zino pour l'apprivoiser. Déconstruire vingt cinq ans de non dits, ça prend fatalement un peu de temps. Dans l'immédiat, notre beau gosse, saoul d'incompréhension et de tristesse, rebrousse chemin aussi sec, évitant de creuser, de questionner ce qui pourtant claque comme une évidence…
Quand il revient au bercail, où décidément Belmelok le boude, le retour est d'autant plus rude entouré par le vide, l'absence, dans l'immeuble de son enfance… Jusqu'à ce que Lola, n'y tenant plus, fasse à son tour le voyage jusqu'à son fils. Une Lola gauche, fragilisée, assaillie par les doutes, les regrets… Autant de choses que Zino en deuil ne peut certainement pas entendre…
Jamais Nadir Moknèche, réalisateur entre autres du très beau Viva Laldjérie (disponible en Vidéo en Poche), ne tombe dans les clichés sordides ou simplistes pour parler de la réalité de ces hommes et de ces femmes qui ont dû fuir leur pays, l'Algérie, pour ne pas terminer leur vie dans un asile tout simplement parce qu'ils étaient tombés dans un mauvais corps à la naissance, que la vie s'était plantée de genre.
Nadir Moknèche a eu la grande idée de confier le rôle de Lola/Farid à la magnifique Fanny Ardant, qui sert le personnage à merveille par sa beauté anguleuse, par la puissance de son regard, par son autorité naturelle. Lola est tour-à-tour émouvante, maladroite, agaçante quand elle devient trop sûre d'elle. Mais sous ses extravagances volubiles on comprend qu'il y a un être d'une énergie, d'une force rares, qui continue à se battre pied à pied pour s'assumer et garder la tête haute.