S’enivrer de ses souvenirs d’antan, voilà la ferme intention de Joseph (Robert Lalonde) en s’installant dans le chalet d’un ami, au cœur du village côtier de Ville Neuve, en Gaspésie. Là-bas, la campagne référendaire de 1995 ne se fait pas bruyante. L’écho d’un Québec fébrile et militant se fait entendre au loin, là où les maisons brûlent et les opinions s’entrechoquent. Seule Emma (Johanne-Marie Tremblay) compte pour Joseph, bien au-delà du fracas des vagues sur les rochers et des poissons qu’il hameçonne, jour après jour. Convaincue par l’insistance de son ex-mari, Emma accepte l’invitation à le rejoindre, espérant pouvoir goûter à leurs anciens sentiments fusionnels, qui ont pris place à Ville Neuve. Alors que leurs plus beaux souvenirs communs s’y trouvent, ils espèrent s’aimer à nouveau et feront face à leurs démons pour y parvenir. L’un d’entre eux se trouve à être Félix (Théodore Pellerin), leur fils unique, qui reste froid à l’idée d’effleurer un contact avec son père. Les blessures de la famille sont vives, résumant toute la beauté de l’œuvre, qui use parfois d’un humour subtil pour les illustrer. Le public est invité à s’immiscer dans l’intimité parfois voluptueuse d’une famille déconstruite par le temps. Plus de 80 000 dessins et peintures, soigneusement réalisés à l’encre de Chine, se succèdent lentement, laissant place à l’appréhension par moment. Les promenades de Joseph et d’Emma au bord de la mer, à la fois agitée et paisible, sont parsemées d’échanges hostiles ou euphoriques, mais loin d’être insignifiants. Tout comme le Québec lors de son deuxième référendum, Joseph et Emma s’offrent une chance. À la fois fataliste et plein d’espoir, Joseph est pris entre le désir de faire perdurer ses souvenirs à Ville Neuve ou d’en créer de nouveaux, ailleurs. Le spectateur est témoin de ce dilemme familial qui attisera sa nostalgie. Le destin des amants, semblable à celui du Québec, résonne comme une rédemption. L’œuvre s’évertue à mettre en relation les problèmes du couple de Joseph et d’Emma et ceux de la nation québécoise, laissant présager une bataille pour leurs désirs respectifs. Pour son premier long métrage d’animation, Félix Dufour-Laperrière a misé gros. Il s’agit d’un immense travail de deux ans qui n’a pas été de tout repos, dû à la trame narrative complexe de l’histoire. « Je me rendais en salle de montage chaque semaine, et l’évolution du film était rectifiée en cours de route, à quelques reprises. Il fallait parfois raccourcir certains segments », explique-t-il. La bande sonore y joue un rôle crucial, puisque le film est bâti sur un système de résonance. La prose, la musique et les bruits s’alignent pour créer une symétrie saisissante avec l’image qui, parfois, bougeait à peine. Le réalisateur est d’avis que l’animation permet d’illustrer une narration, ce qui n’est pas toujours possible avec d’autres procédés. « L’artifice de l’animation permet une forme cinématographique différente qui convenait bien à l’écriture de Ville Neuve et à son jeu de juxtapositions [du son et de l’image] », précise Félix Dufour-Laperrière, qui travaille aujourd'hui sur son second long métrage d’animation, La mort n’existe pas.