La première scène, donne le « la », impossible à dévoiler sans déflorer la surprise, cependant le ton est affiché : léger, drôle et cruel. Un détonnant mélange dans lequel Laetitia Casta excelle, resplendissante. Elle est Marianne, l’inconstante par laquelle arrivent les jeux de dupes, de l'amour et du hasard…
Abel aimait Marianne, Marianne aimait Paul, Ève encore gamine aimait Abel secrètement, comme on aime un fantasme, un idéal masculin inaccessible… Un Abel (Louis Garrel, séducteur arrosé, au meilleur de son jeu) balloté au gré des femmes et des rencontres. Un Abel hilarant et touchant avec ses airs de cocker constamment résigné, incapable de contrarier celle qu’il aime, même au risque de la perdre.
Dix ans passent… avant que Marianne, qui s’est mise en ménage avec le père de son enfant, ne refasse surface, en veuve éplorée. Évidemment Abel immédiatement va vouloir la consoler, la reconquérir. Tandis qu’Ève (Lily-Rose Depp en ingénue diabolique), la petite sœur du défunt, devenue enfin grande et désirable, se met à courir après lui, prête à déclarer la guerre à sa rivale. Mais si l’une a la jeunesse pour elle, la cuisse ferme et des yeux de biche, l’autre a l’expérience qui sied aux renardes prêtes à tout pour défendre leurs territoires et les proies qu’elles ont conquises. Voilà, les ingrédients de l’intrigue en place, un sac de nœuds digne de La Seconde surprise de l’amour de Marivaux, dont le scénario s’est de prime abord inspiré. Jean-Louis Carrière et Louis Garrel rendent hommage au génial dramaturge, tout en s’en émancipant. Chaque scène ciselée au cordeau en appelle une autre qui vient nous surprendre. Toutes s’enchaînent avec une fluidité efficace, jouissive. L’Homme fidèle se grignote ainsi comme un petit quatre heure, une friandise craquante qui fera le bonheur des coquettes et des galants, bien plus subtile qu’il n’y parait. Une heure quinze de simple bonheur à ne pas bouder.
Enfin il serait totalement injuste d’oublier de citer le jeune acteur Joseph Engel dans le rôle du fils de Marianne, âgé d’une dizaine d’années. Tout bonnement solaire, il crée une zone d’ombre sans concession autour de chaque personnage, même celui de sa propre mère. Il est celui auquel on ne peut rien cacher. Il distille le doute dans les pensées des adultes, les manipule. Petit bonhomme loin des clichés rebattus sur l’enfance innocente, il aime à conspirer, joue les détectives, nous ouvre des fenêtres vers d’autres perspectives, d’autres interprétations plus sombres qui finissent par nous hanter. Et si rien n’était ce que l’on a cru ? Et si ce qu’on prenait pour de simples badinages pouvaient révéler de sordides histoires sans cœur. Comme lui on finit par poursuivre la piste de coupables sans foi ni loi, d’empoisonneuses sans vergogne mais néanmoins séduisantes… Un monde imaginaire bien plus palpitant que la pure réalité. Joseph réussit à nous propulser avec délices dans sa bulle d’observateur souvent impuissant, jamais neutre. Et on se réjouit de ses espiègleries perspicaces qui bousculent les adultes, les font douter de tout.