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Sorti en salle en 2 chapitres, l’un interdit aux moins de 12 ans, l’autre plus cru, interdit aux moins de 16 ans, Nymphomaniac n’est pas le film de la rédemption pour Lars Von Trier, reparti persona non grata de Cannes, à la suite de la conférence de presse de Melancholia en 2011. Le cinéaste semble explorer ses démons à travers le personnage de Joe, joué par Charlotte Gainsbourg, dépravée du corps, âme perdue, en quête d’une rédemption impossible via l’abus sexuel et toutes formes de perversions. Même dans la version salle censurée par son distributeur, dont le cinéaste ne se porte pas garant, les outrages faits aux corps sont nombreux et la philosophie nihiliste du cinéaste sur l’hypocrisie humaine peut faire des ravages au moral.
Voici enfin cette version director’s cut dont la France est le seul pays à la sortir en salles après la sortie intégrale vidéo.
La découverte de la version director’s cut, envisagée pour la salle de cinéma, puis démontée, réduite à un montage de 4h sur deux films, laissant l’auteur implacable sur celle-ci, refusant d’y voir son engeance, est un exercice de cinéma fascinant. L’estampille "Director’ cut", outrageusement apposée sur les jaquettes des DVD contemporains sans que quiconque ne voit vraiment la différence avec le montage proposé dans les multiplexes, devient ici un manifeste de liberté. L’auteur Lars von Trier est allé jusqu’au bout de l’exercice du fantasme de film. En dévoilant des acteurs porno au travail, numériquement collés aux corps et visages des stars du casting, il savait qu’il se déliait de tous les jougs qui retiennent un penseur... L’exploitation salle allait être réduite, interdite de complexes de salles, donc autant aller jusqu’au bout de ses idées, de ses névroses... Ce sont 1h25 d’images supplémentaires qui sont dévoilées, qui contient toujours deux parties emblématiques, autour du récit entre le vieil asexué joué par Stellan Skarsgard, et la nymphomane abîmée, incarnée par Charlotte Gainsbourg, que l’homme bienveillant recueille pour une nocturne qui s’étend en récits dramatiques, digne des Mille et Une Nuit du sordide. Le temps élastique s’étend plus qu’il n’en faut lors de dialogues parfois statiques, théâtraux, où le cinéaste va jusqu’au bout de ses réflexions, mystiques, sociologiques, humaines et personnelles. Il creuse, plus qu’il n’en faut, et sonde la douleur à l’état pur. Les scènes dites porno, ou plutôt sexuellement explicites, n’ont jamais la vulgarité des inserts des années 70, comme le dit si bien le critique de cinéma Philippe Rouyer, dans une excellente comparaison des versions dans un bonus inédit (25mn). Tout est question de cadrage... La chair étant morte, le sexe froid, malade, mécanique ou boulimique pour combler des fêlures quasi innées, l’excitation propre au genre pornographique est totalement absente. L’on répond ainsi aux doutes de certains quant au genre de Nymphomaniac qui ne sera jamais érotique ou porno, mais dramatique, tragique même dans sa quête de la douleur pour mieux y trouver l’oubli de soi. On ne vient s’émoustiller devant les déviances sévères et nihilistes qui sont explicitées ici. La présence d’une séquence d’avortement choquante, dans la 2e partie, vient donner encore plus de consistance au discours trouble. Autant de souffrances, de malaises chez un même cinéaste, chez un même artiste, et chez un même homme... On ne l’avait pas vu depuis Pasolini, à la fin de sa carrière, avec Salo.
Difficile à aimer tant la projection est malaisée, Nymphomaniac Director’s Cut est un exercice de cinéma parmi les plus passionnants pour les amoureux de l’image qui y trouveront matière à discourir sur le sens même du cinéma, dont les artifices et techniques sont génialement employés par un Lars von Trier radical qui, décidément, n’a que faire d’être aimé..., dit-il.
Frédéric Mignard