Quinzaine des réalisateurs 2019
Teen movie fantastique
S’inscrivant, selon Blaise Harrison, dans la continuité de ses précédents documentaires, où réel et fiction se côtoient et se nourrissent mutuellement, Les particules est “un film dans lequel j’ai eu envie de raconter l’adolescence, son énergie, ses doutes et ses inquiétudes, ses questionnements parfois métaphysiques et existentiels”. De son enfance dans le pays de Gex, le cinéaste a gardé des souvenirs particuliers. “C’est un lieu en apparence banal et ordinaire, situé entre la grande métropole genevoise et la nature sauvage du Haut-Jura, mais sous lequel se cache un monstre de technologie, le LHC du Cern, où les conditions d’énergie du Big Bang sont recréées pour tenter de percer certains des plus grands mystères de l’univers. Mettre en relation ce qui se joue à la surface dans ma bande d’ados et en sous-sol dans l’accélérateur était la porte d’entrée pour raconter, par le biais d’un fantastique plausible, l’inquiétude de mon personnage face à un monde qu’il voit se transformer et dans lequel il n’arrive plus à trouver sa place.” Les particules est produit par Estelle Fialon, productrice associée aux Films du Poisson, qui avait accompagné les deux précédents documentaires de Blaise Harrison. Ce dernier a proposé aux Suisses de Bande à Part de rejoindre la production. “La nature même du projet permettait une coproduction franco-suisse. Et bien que n’habitant plus en Suisse, mais étant toujours en contact avec Lionel Baier qui, en plus d’être réalisateur et producteur, est mon ancien (et toujours actuel) directeur du département cinéma de l’Ecal où j’ai étudié, lui proposer de coproduire ce film était donc pour moi une évidence.”
C'est un temps suspendu au sortir de l'adolescence, un temps bref, qui se compte en mois plus qu'en années, mais qui laisse dans les vies la trace indélébile d'une fulgurance née pour disparaître. Âpre, confus, insaisissable, c'est dans ce temps-là que nous allons pénétrer avec Les Particules, au gré d'un voyage où il sera question de matière, d'atomes, de sens, de corps en mouvement et de réalités hasardeuses. À travers ce premier film de fiction très ambitieux, tant dans son sujet que dans ses aspirations formelles, c'est une drôle d’expérience à laquelle nous convie Blaise Harrison. Guidant nos pas de spectateurs, à l'aide d'une singulière cartographie, dans un univers entre le documentaire et le fantastique, entre le naturalisme et les digressions scientifiques, embrassant dans son propos un vaste champ de possibles. Dans ce dédale qui va de l'intime à l'immensément grand, de la cellule au big-bang, on pourrait se perdre ou pire encore s'ennuyer, mais la magie opère grâce essentiellement à la composante humaine, véritable cœur en fusion du film incarné dans le personnage principal, P.A, grand échalas lunaire aux faux airs de Gaston Lagaffe dont nous allons suivre le chemin.
Pays de Gex, frontière franco-suisse. P.A et ses trois meilleurs potes vivent leur dernière année au lycée, celle du bac. Les matins endormis bercés par le ronron du bus scolaire, l'arrivée traînante aux portes du lycée, les cours qui se suivent et s'enchaînent. L'envie tenace d'être ailleurs sans savoir vraiment où ni pourquoi. Assidus mais pas vraiment passionnés, sérieux mais pas tout à fait responsables, les quatre amis d'enfance s'évadent comme ils le peuvent d'un univers un peu gris, un peu terne, un peu étriqué, celui des routes de campagnes et des lotissements, entre les profs et les parents.
C'est la musique, ensemble dans un garage, et puis les soirées… un peu de picole et quelques pétards, des virées en ville et du camping sauvage dans les bois… des rires, de la déconnade, et puis chacun rentre chez soi… dans sa maison, mais surtout dans sa propre intimité, cet espace exigu et immense défini par les frontières de sa propre enveloppe : un corps en vie, en mouvement, un esprit en proie à mille et une questions existentielles. Et pendant que chacun des quatre gars s'attache, avec son style, ses mots et sa dialectique à mettre en forme le chaos bouillonnant qui résonne en eux, quelque part sous leurs pieds, à 100 mètres de profondeur, le LHC, l'accélérateur de particules le plus puissant du monde, provoque des collisions de protons pour recréer les conditions d'énergie du big-bang et détecter les particules jusqu'alors inconnues.
Tandis que l'hiver s'installe, P.A a le sentiment que le monde change autour de lui : la matière se distord, des lumières étranges scintillent dans la nuit, sa perception du monde environnant semble comme fracturée par une énergie inconnue. Est-ce la naissance de l'amour qui l'a cueilli sans prévenir au détour d'un regard avec Roshine ? Ou bien l'enfance, agonisante, qui lance ses derniers signaux de détresse ? C'est peut-être la fin d'un cycle et le début d'autre chose… ou un rêve… ou une expérience hallucinatoire.
Blaise Harrison laissera tout cela en suspens, préférant le mystère et la libre interprétation aux vérités, aux certitudes et c'est très bien ainsi. Filmant dans une région qu'il connaît bien pour y avoir été lui-même adolescent, il a laissé à ses comédiens (tous non professionnels) une très grande liberté, saisissant au vol les regards, les bons mots, les complicités naissantes, la matière brute. Plongée sensorielle où le travail sur l'image et le son est extrêmement précis, Les Particules nous ramène à cette période particulière de trouble et de mouvement, quand du monde des adultes (ici complètement hors-champ) on ne percevait que des bribes, comme un lointain message brouillé émanant d'une très lointaine planète.