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On pourrait dire que c'est un grand et beau western, qui déploie en un récit picaresque l'ample beauté de son classieux noir et blanc. Un western avec ses somptueux paysages de plaines parcourus par des cavaliers, avec ses shérifs à la recherche de fugitifs. À ceci près que nous ne sommes pas au pied des Rocheuses ou sur les berges du Rio Grande, mais en Valachie en l'an de grâce 1835. La Valachie c'était, avant que la Roumanie s'appelle Roumanie, une des provinces roumanophones et orthodoxes vassales de l'Empire ottoman mais relativement autonomes, où les Boyards, une classe d'aristocrates, faisaient régner leur pouvoir tout puissant. Constandin est un policier qui, avec son fils, parcourt le pays à la recherche d'un esclave gitan qui a commis le crime absolu de forniquer avec une femme de Boyard délaissée. Oui, vous avez bien lu le mot esclave, car Aferim fait œuvre salutaire en rappelant que, jusqu'au milieu du xixe siècle, les Gitans, appelés « corbeaux » du fait de leur couleur de peau, étaient des esclaves, sur lesquels les maîtres avaient droit de vie ou de mort, et ce dans tous les territoires roumanophones. Tout au long du parcours des deux cavaliers à la recherche du Gitan séducteur, on a droit aux leçons de choses et maximes diverses – elles sont d'une drôlerie terrifiante – que déverse le policier pour l'éducation de son fils. Le fils en question, qui pourrait être l'espoir d'une future génération qui construira la Roumanie moderne, les accueille avec esprit critique et circonspection… Il faut bien dire que Constandin exhale le pire de la bigoterie et des préjugés racistes. En même temps, il maudit aussi pêle-mêle les enfants, les vieux, les Juifs, les Russes, les Turcs, les paysans… Il n'y a que quand il croise plus puissant ou violent que lui qu'il rabaisse son caquet. Aferim ! (expression ottomane qui est l'équivalent ironique de « salut ! »), en jouant à fond la carte de la truculence et de l'exagération satirique, porte un regard noir et sans concession sur un passé cruel que la Roumanie n'est pas du tout prête à assumer. Radu Jude dénonçait avec ironie, dans son premier film, La Fille la plus heureuse du monde, les dérives du consumérisme dans son pays à travers le portrait acide d'une jeune fille contrainte de tourner une publicité pour gagner une automobile. Puis, dans Papa vient dimanche, il pointait avec un humour corrosif la destruction de la structure familiale. Dans un pays où le racisme anti-rom est encore omniprésent, où seulement 20% des 3,7 milliards octroyé par le Fonds Social Européen pour aider à l'intégration des Roms ont été dépensés – le pouvoir roumain se foutant de la dite intégration comme de la dernière toque de Ceaucescu – Aferim ! s'impose comme une œuvre indispensable. Et il en est de même par chez nous, dans notre beau pays qui expulse tous les ans pas moins de 10 000 Roms vers leur mère patrie qui n'a jamais voulu d'eux.