Adina Pintilie explore des territoires nouveaux en jouant avec la fiction et le réalité, dans un premier long-métrage qui représente un vrai défi
Les réalisatrices roumaines sont sur ce devant de la scène cette année, devant leurs collègues hommes, et la meilleure preuve de cela est le premier long-métrage d'Adina Pintilie, Touch Me Not, une exploration ardue mais pertinente, qui engage à la réflexion, de l'intimité et de la notion qu'on se fait de soi-même par rapport à son corps. L'œuvre, produite par Manekino Film, a fait son avant-première mondiale à la Berlinale en compétition, et il a toutes les chances d'impressionner le jury présidé par Tom Tykwer.
Dès la toute première image du film, qui explore en très gros plan le corps nu d'un homme sans craindre de dévoiler son anatomie, on comprend que Touch Me Not ne va pas être un autre exemple très refoulé sexuellement de la Nouvelle Vague roumaine. Dans la deuxième scène, nous rencontrons un des personnages centraux du film, Laura (Laura Benson), une actrice qui réprime beaucoup de choses et engage régulièrement un call boy (Georgi Naldzhiev) pour qu'il se masturbe tandis qu'elle regarde. Cette rencontre révélatrice n'est que la première de toute une série. On rencontre même dans le film la réalisatrice en personne, d'abord à travers un écran, de derrière la caméra, puis devant la caméra, tandis qu'elle confie ses propres angoisses d'ordre intime.
Pintilie brouille les frontières entre la réalité et la fiction à travers l'approche expérimentale qu'elle fait de son si difficile sujet. La caméra, qui est généralement le point où la fiction se termine et où commence la réalité (et inversement), devient une frontière fluide, une zone de communication, de négociation et d'introspection. La réalisatrice observe l'actrice tandis que l'actrice fixe le regard de la réalisatrice (et du spectateur), un dispositif qui donne un accès intéressant aux couches les plus profondes qui sous-tendent leurs performances.
Laura peut être considérée comme l'héroïne du film, car ses rencontres successives, riches en émotions, parfois dérangeantes, avec différents types de travailleurs du sexe invitent le public a réfléchir sur ses propres limites quant à son image du corps et de la sexualité. Les visites de Laura à l'hôpital pour voir son père, qui est désormais mutique et physiquement amoindri, deviennent une occasion de rencontrer d'autres personnages qui ont leurs propres problèmes d'intimité, et de découvrir ce qui va devenir le leitmotiv du film : "Dis-moi comment tu m'as aimé, pour que je comprenne comment aimer".
Bien soutenu par des performances convaincantes tout du long de la part des acteurs, Touch Me Not bénéficie fortement de la participation de Christian Bayerlein, un homme gravement handicapé qu'on découvre en séance de thérapie par le toucher, à l'hôpital, et qui s'ouvre à Tómas (Tómas Lemarquis), qui a lui-même des problèmes psychologiques liés aux réactions des gens devant sa différence, et à l'absence de liens entre ces réactions et toute notion de bien ou de mal.
Pintilie n'aurait pas pu forcer davantage le spectateur à sortir de sa zone de confort et à réfléchir à la différence entre la manière dont nous nous percevons et celle dont les autres nous perçoivent. En créant une interface fluide entre fiction et réalité, le film semble suggérer qu'on est sans cesse en train de renégocier la quantité de fiction et de réalité qu'on intègre dans nos existences, et dans nos relations avec les autres.
Touch Me Not n'est pas nécessairement un film qu'on arrive à aimer, mais ce qui est certain, c'est que ce n'est pas un film qu'on pourra oublier.