Cannes 2018 : un certain regard
Les liens du sang
De retour à Un certain regard où elle a déjà été invitée pour son premier film, Miele, mention spéciale du jury œcuménique en 2013, la comédienne Valeria Golino a écrit le script d’Euphoria avec ses complices Francesca Marciano et Valia Santella. Elle y réunit Riccardo Scamarcio et Valerio Mastandrea dans les rôles de deux frères que la vie a séparés et qu’une cause commune va inciter à mieux se connaître et s’apprécier. Figurent également au casting, Isabella Ferrari, Valentina Cervi et Jasmine Trinca, qui tenait déjà le rôle principal de son opus précédent et prix d’interprétation d’Un certain regard en 2017 pour Fortunata de Sergio Castellito. La réalisatrice a par ailleurs obtenu en tant qu’actrice deux Coupes Volpi à Venise en 1986 et 2015, ainsi que deux David Di Donatello en 2006 et 2014. C’est Paname Distribution qui a acquis, quelques jours avant sa première présentation à Cannes, les droits d’Euphoria pour la France où sa sortie est prévue au premier trimestre 2019.
La nature est ainsi faite : le même milieu, la même éducation, le même environnement, le même amour filial, les mêmes vacances au bord de mer, les mêmes châteaux de sable et pourtant… quoi de plus dissemblables que deux frères ? Ces deux-là étaient proches, ils ont partagé beaucoup, les rires de l’enfance, les secrets de l’adolescence. Et puis la vie a posé sa sentence sur ces deux destinées et le temps a fait le reste, œuvrant doucement vers un délitement du lien, quand la tendresse s’effiloche au gré des visites qui s’espacent et se font de plus en plus rares, au fil de ce constat qui s’impose comme une évidence : deux mondes qui ne se connaissent ni ne se comprennent plus.
Matteo et Ettore ont tracé chacun leur route, suivi des trajectoires qui ne se rencontrent plus. Ettore, l’aîné, n’a jamais quitté la région de son enfance, il est devenu enseignant, il s’est marié, a eu une fille, a quitté sa femme et puis est retombé amoureux. Matteo quant à lui vit depuis longtemps à Rome où il est entrepreneur à succès, avec toute la panoplie du golden boy qu’il campe avec nonchalance et, il faut bien le dire, une arrogance plutôt agaçante. Un appartement luxueux avec terrasse et vue sublime sur la ville éternelle, un chauffeur, quelques fidèles amis pour beaucoup faire la fête et de l’argent, énormément, suffisamment pour satisfaire ses moindres désirs : des amants, de la coke et des excès en tous genres.
Quand il apprend que son frère est gravement malade et qu’il doit venir à Rome pour des examens, Matteo décide de l’héberger chez lui, sans se poser la moindre question. Fidèle à ce qu’il est, au fond de lui : en enfant trop gâté qui veut partager un bout de son trésor et des facilités que la chance et la vie ont placées sur sa route. L’autre rechigne, et puis accepte, plus sans doute pour qu’on lui fiche la paix que par véritable envie de mêler sa mauvaise humeur aux bulles de champagne, aux œuvres d’art, aux mœlleux canapés de cet appartement bien trop luxueux pour lui. Chacun pourtant va essayer d’entrer dans l’univers de l’autre, maladroitement, sans en avoir les clés ni les codes, avançant à tâtons sur cette nouvelle route commune qu’ils tentent de reconstruire, en s'appuyant sur les souvenirs de leur enfance perdue.
C’est cette histoire que la caméra de Valeria Golina va saisir au vol pour nous. Elle balance entre l’amertume d’une situation forcément tragique, car la mort rode, inéluctablement, et la tendresse retrouvée, la saveur revenue des rires et des regards complices. Suivant ce pas de deux hésitant, elle ne quitte pas des yeux ses deux personnages, qu’elle les suive au plus près en plans très serrés ou qu’elle les filme dans des séquences plus larges qui racontent aussi la lumière singulière et la beauté de Rome. Matteo solaire, voulant brûler la vie de tous côtés, un caractère parfois abject mais un vrai cœur d’or, Ettore plus secret, plus tourmenté, presque fantomatique, errant comme une ombre dans un monde qu’il ne reconnaît déjà plus : ces deux astres semblent pourtant ne pas pouvoir tourner l’un sans l’autre.
Tout ceci est conté avec beaucoup de justesse et de pudeur, celle que les petits garçons apprennent bien sagement mais qui entrave aussi leur cœur, quand ils sont devenus grands.