Mon père est une véritable découverte, brute et colorée. Le titre français, si classique, ne lui rend pas vraiment justice. Mais il est vrai que le titre original, littéralement « Retable », serait resté nébuleux et peu évocateur pour un public non péruvien. Ici, dans les campagnes reculées des Andes, l’artisanat du retable, que notre regard occidental considérerait tout au plus comme un art populaire naïf, est une véritable institution ancestrale. Les meilleurs maîtres artisans sont vénérés comme de véritables artistes, dépositaires d’un savoir faire qui se transmet de père en fils.
À quatorze ans, la vie de Secundo est bariolée comme ces figurines que façonne et peint son père au doux regard, Noé. Chacune raconte une personne, une histoire, une ambiance que le maestro immortalise et met en boîte dans un de ces fameux retables. Secundo observe, s’imprègne de la précision des gestes paternels, s’apprête à les reproduire jour après jour, tout comme il reproduira la vie sans vagues de ses ancêtres. Nulle place n’est laissée à l’improvisation en dehors de l’atelier méticuleusement rangé. Parfois il gambade avec les autres, trop peu… Il grimpe alors voir son copain, le lourdingue Mardonio, qui garde les moutons. Il aimerait devenir comme lui, un jeune mâle qui poursuit les filles de ses ardeurs libidineuses. Il aimerait se battre avec ceux qui le moquent, se frotter comme eux à la dureté du labeur agricole. Mais toujours sa mère le houspille, le remet sur le droit chemin. Il a tellement mieux à faire : il lui faut atteindre la perfection, devenir maestro à son tour, une situation en or, comme celui qu’on a dans les mains. Une prédestination obsédante qui parfois l’oppresse, l’empêche de savoir ce qu’il veut, qui il est.
L’ambiance vivifiante de ses Andes natales, les montagnes magnifiques finissent par devenir pesantes malgré la beauté aérienne qui imprègne le paysage à perte de vue. C’est avec un regard assombri par d’insondables démons que désormais l’adolescent regarde son univers tandis que son innocence enfantine progressivement se dissipe comme une brume matinale.
Pourtant la vie fuse en tous sens, joyeuse, pétillant parfois au rythme des cris et des musiques qui animent le marché où se vendent les productions du Maestro. Ici une fois leurs affaires conclues, les hommes se laissent aller à la beuverie. Noé se fond alors dans la liesse ambiante, oubliant dans l’ivresse la présence de sa progéniture, quand il ne s’évanouit pas carrément dans la nature. Tandis que Secundo le cherche mi inquiet, mi désabusé, son regard s’ouvre sur les hypocrisies d’un monde moins immaculé que ses rêves d’enfant. Progressivement son admiration inconditionnelle pour son vieux cède la place à un sentiment diffus qui se transformera bientôt en écœurement, le jour où il assistera à une scène qui transformera irrémédiablement sa vie…
Mon père est tout autant une histoire d’amour filial trop absolu que la dénonciation d’une société où les mentalités, figées dans des préceptes passéistes, empêchent parfois les êtres de se réaliser. Pour son premier film, Delgado-Aparicio nous livre une histoire crue et atypique servie par des personnages plus vrais que nature. De quoi nous étonner et nous plonger dans une civilisation aux antipodes de la nôtre, un véritable voyage en terre inconnue.