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C'est bien souvent quand elle s'éloigne des terrains de jeux que l'enfance en devient un pour de nombreux cinéastes du monde entier. Le cinéma regorge de personnages de gamins grandis trop vite, obligés de quitter l'enfance plus tôt que prévu pour compenser comme ils peuvent les défaillances des adultes censés s'occuper d'eux. Ce Jack formidablement attachant s'inscrit donc dans la (prestigieuse) lignée de ces mômes livrés à eux-mêmes, en fuite ou délaissés, ces attrape-cœurs cinématographiques qui se démènent pour se frayer un chemin dans une vie passablement mal engagée…
Dès les premières scènes, on le voit en effet tout faire pour s'occuper de son petit frère Manuel alors qu'aucun adulte n'est présent dans leur appartement berlinois. Et de fait, le père n'est plus là, et la jeune mère est très souvent absente. C'est donc Jack qui prend en charge, du haut de ses dix ans, à la fois les tâches ménagères et son petit frère. Il semble perpétuellement en mouvement, occupé en permanence, effectuant ses tâches avec une sorte de bienveillance naturelle et impassible, une force tranquille et imperturbable. Ainsi va la vie pour Jack et Manuel, entre deux parenthèses enchantées passées avec leur mère qui travaille le jour et sort beaucoup la nuit, ne rentrant que rarement dans l'appartement familial, trop rarement pour ses fils qui s'en font une fête à chaque fois – sauf celles où elle est accompagnée par une de ses nombreuses conquêtes. Jusqu'au jour où un accident arrive et où les services sociaux s'en mêlent, et décident d'envoyer Jack en foyer, loin de sa mère et de Manuel. Rien ni personne évidemment ne pourra empêcher Jack de fuguer et de rejoindre son frère, les deux enfants s'engageant dans une longue errance dans Berlin à la recherche de leur mère…
C'est un film qui colle aux basques de son jeune personnage du début à la fin. Et si le portrait de ce gamin obstiné et débrouillard est infiniment sensible et émouvant, le monde qu'on découvre à travers lui – et à sa hauteur – est quelque peu effrayant. À la détermination impassible de Jack répond l'inconsistance des adultes qu'il croise, aucun ne s'avérant être en mesure de lui fournir l'aide dont il aurait besoin. Tous le traitent comme s'il n'était déjà plus un enfant, ne semblant ni s'étonner ni s'inquiéter de le voir en permanence seul avec son frère, et paraissant plus soucieux de s'en éloigner que d'en savoir plus. Mais le film n'est pas pour autant manichéen, à l'image du personnage de la jeune mère qui, si elle est en effet absente, préférant chercher un homme plutôt que de s'occuper de ses fils, n'en est pas moins aimante, et aimée inconditionnellement par ses deux garçons. C'est après elle et pour elle que Jack et son frère courent en permanence, leur course se transformant peu à peu en un interminable marathon jalonné d'obstacles, un parcours initiatique qui les confrontera si jeunes à l'amertume et à la déception, mais ne les arrêtera pas pour autant, les rendant au contraire plus lucides et plus forts. La fin du film est à ce titre extraordinaire d'audace et d'intensité.