CANNES 2017: COMPÉTITION
Retrouvailles
Chez le réalisateur sud-coréen Hong Sang-soo, un film chasse l’autre et certains cultivent des connivences intimes et existentielles qui ne prennent un sens véritable que si l’on considère son œuvre dans sa globalité, en passant outre l’identité spécifique de chacun de ses chapitres. Le jour d’après réunit ainsi deux de ses interprètes fétiches : la sublime Kim Min-hee (multiprimée pour sa composition sulfureuse dans Mademoiselle de Park Chan-wook),déjà à l’affiche d’Un jour avec, un jour sans (2015) et de On the Beach at Night Alone (2017), qui lui a valu l’Ours d’argent de la meilleure actrice au dernier Festival de Berlin, et l’un de ses partenaires dans ce film Hae-hyo, qu’on peut désormais considérer comme l’un de ses alter ego, et qui a joué également sous sa direction dans In Another Country (2012) et Yourself and Yours (2016), prix de la mise en scène au Festival de San Sebastián.
21 films en 21 ans ! C’est la belle performance de Hong Sangsoo, cinéaste coréen qui ne cesse d’écumer les prix dans les festivals les plus prestigieux, de Cannes à Berlin en passant par Locarno, depuis 1996. Écrivains, réalisateurs, artistes en mal d’amour sont les personnages auxquels ses films ont fini par nous habituer au cours de longues scènes de repas et de beuveries où les masques tombent toujours très vite.
Car l’alcool – le soju ! – est le premier moteur de ce cinéma : Hong Sang-soo se plait à faire boire ses comédiens jusqu’à plus soif pour atteindre la vérité des sentiments : les hommes trahissent tantôt leur machisme tantôt leur lâcheté, les femmes laissent tour à tour exploser leur colère ou leur tristesse, le tout d’une manière incroyablement réaliste. Ses récits minimalistes en forme de contes moraux peuplés d’intrigues amoureuses lui ont d’ailleurs valu le surnom de « Rohmer coréen ». Mais Hong Sang-soo a également l’élégance d’un peintre dans la composition très précise de ses plans ou dans l’usage du zoom qui lui permet de capter un changement d’attitude imperceptible chez un personnage. Chaque film (le cinéaste est capable de tourner et monter un nouvel opus en une semaine !), est une subtile variation du précédent et ne raconte au fond qu’une chose : comment les hommes et les femmes ont du mal à être ensemble.
Ainsi donc voici Le Jour d’après, sélectionné en compétition au 70e Festival de Cannes, qui est peut-être son chef-d’œuvre, du moins le grand film de la maturité. Soit l’histoire d’un éditeur, Bongwan, qui a trompé sa femme avec son employée avant que celle-ci ne le quitte et que n’arrive Areum, une nouvelle jeune et jolie femme, pour la remplacer. Le film se déroule sur une seule journée, qui correspond au premier jour de travail d’Areum, au cours de laquelle la lâcheté de Bongwan va provoquer les humiliations successives de chacune des femmes qui l’entourent. Quelques allers-retours temporels nous donneront progressivement des indices sur la liaison adultère qui a précédé.
Le Jour d’après est une grande comédie du désespoir, filmée dans un sublime noir et blanc, qui vous fera pleurer. Hong Sangsoo n’a peut-être jamais été si mélancolique. D’habitude, le ridicule des situations l’emporte et l’on accepte de rire des personnages comme on se moquerait de soi-même. Ici, la tristesse a gagné du terrain. Les petites bassesses et les trahisons ont ouvert des blessures qui auront du mal à se refermer. Ce qui n’est sans doute pas sans rapport avec la part autobiographique du récit. Sans doute aussi parce les disputes sont un peu moins arrosées qu’à l’accoutumée. Le ton est plus grave, plus sérieux. La honte qui paraissait autrefois légère, passagère, sans conséquence, est devenue un sentiment existentiel qui colle à la peau.
Petit moment d’accalmie au cœur de la tempête, un simple déjeuner entre Areum (interprétée par la formidable Kim Minhee que vous avez découverte dans Mademoiselle) et Bongwan se transforme soudain en fable philosophique sur le sens de l’existence. Bongwan ne comprend pas pourquoi Areum demande s’il sait pour quoi il vit car, dit-il, la réalité ne fait que glisser entre les mots : ce qui se dit est toujours faux, on ne fait que se mentir à soi-même. Areum lui rétorque que seule la fidélité à une croyance (et partant, on la voit venir, la fidélité dans l’amour !), peu importe cette croyance, et qu’importe la réalité, permet à chacun d’être heureux. Ou comment Hong Sang-soo excelle à rabattre les grands problèmes existentiels sur de simples questions libidinales. Que vous aimiez ou pas vous saouler au soju, venez trinquer !