Une semaine et un jour

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À la fin du Shiv’ah - les 7 jours de deuil dans la tradition juive - l’existence doit reprendre son cours. Tandis que Vicky, sa femme, se réfugie dans les obligations du quotidien, Eyal, lui, décide de lâcher prise… Avec un ami de son fils défunt, il partage un moment de liberté salvateur et poétique, pour mieux renouer avec les vivants...

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SEMAINE DE LA CRITIQUE 2016

Joyeuses funérailles

Asaph Polonsky a eu l’idée de son film lorsque l’un de ses amis a perdu sa compagne alors qu’il était encore très jeune. “Le jour du décès, sa bande d’amis est arrivée dans la maison de ses parents. Personne ne se parlait et soudain, quelqu’un a brisé le silence pour demander : ‘vous n’auriez pas encore un peu de sa marijuana médicinale’. Il y avait dans ce moment quelque chose d’irréel qui m’est longtemps resté. ”Le cinéaste développe son scénario en reprenant celui d’un court métrage qu’il n’avait jamais réalisé. Un long processus qui prendra cinq années avant de pouvoir tourner One Week and a Day. Pour le casting, Asaph Polonsky va mêler des acteurs venus de la comédie avec d’autres plus connus pour leurs compositions dramatiques au théâtre. “Shai Avivi et Evgenia Dodina ne s’étaient jamais rencontrés mais, dès l’instant où ils ont été réunis, l’alchimie de leur couple a pris corps. Je n’ai pas voulu faire beaucoup de répétitions, juste qu’ils soient à l’aise l’un avec l’autre en passant un peu de temps avec eux. Pour moi, l’essentiel du travail  passait par le fait de les avoir choisis. Le casting a été une étape cruciale. ”Le film est tourné en 23 jours. “J’ai choisi de communiquer énormément avec chacun et ce, dès la période de préproduction.  C’est indispensable pour un film avec un budget aussi serré que le nôtre, car cela permet d’impliquer tout le monde. Ensuite, sur le tournage, j’ai tout fait pour ne pas forcer mes comédiens à être drôles. Le comique provient donc uniquement des situations, du cadrage, des mouvements de caméra ou du son.”

Ne vous fiez pas à votre premier instinct. Ne vous fiez pas à cette petite voix qui vous dit de ne pas venir voir ce film parce qu’il aborde un sujet douloureux. N’écoutez pas non plus la parole d’autrui – à laquelle pourtant vous prêtez toujours attention (celle de votre conjoint(e), de votre fille, de votre boulangère, de votre psy, de votre meilleur ami) – qui vous incitera à aller vous marrer ailleurs, devant les images d’un autre film a priori plus festif. Faites confiance à la force tragi-comique du cinéma et au talent d’un tout jeune cinéaste qui, pour son premier long-métrage, réussit le tour de force de nous faire rire, sourire et pleurer en même temps. C’est sans doute du côté du cinéma italien qu’il faut trouver quelques échos à cette capacité de mêler avec brio gravité et légèreté, humour noir et tendre mélancolie. Nanni Moretti par exemple a su très bien le faire. Et si l’on devait chercher un peu plus près au plan géographique, le cinéma du réalisateur palestinien Elia Suleiman y parvient aussi avec force.
C’est un film qui se passe dans l’instant d’après, dans ce moment particulier de la fin du deuil qui, selon la tradition juive, marque après sept jours le temps du retour à la vie pour ceux qui restent. De la mort, chacun s’accommode comme il peut, chacun fait face avec ses armes, chacun se bricole une technique de fortune pour surmonter l’épreuve de la disparition de l’être cher. Eyal et Vicky viennent de perdre leur fils d’une vingtaine d’années des suites d’un cancer. Les sept jours sont passés, rien désormais n’est plus comme avant et, pourtant, tout est pareil : les rayons du soleil, la maison, les plantes du jardin et les voisins. Chaque chose est à sa place, la vie ne s’est pas arrêtée, elle continue, bancale.
Chacun fait donc comme il peut. Vicky coche machinalement toutes les cases du quotidien : ranger la maison, faire un jogging, subir un détartrage, retourner travailler avec un aplomb digne et blasé. Eyal, quant à lui, croit vaincre la douleur en accomplissant toutes sortes d’idioties. Il se dispute avec ses voisins qu’il déteste, se met en tête de s’essayer pour la première fois de sa vie à la consommation de cannabis, se lie d’amitié avec un glandeur professionnel, accessoirement le fils de ces voisins honnis et ancien copain de son fils, et puis joue avec des chatons qui ont élu domicile dans son jardin. Sans se parler ni se juger, chacun est dans sa problématique, isolé de l’autre sans toutefois en être déconnecté, seul dans sa bulle de tristesse, mais unis par l’amour qu’ils se portent et celui qu’ils portaient à leur fils.
Cela pourrait être glauque, plombant, déprimant mais c’est tout le contraire. La drôlerie du film réside moins dans les situations que dans le jeu des comédiens principaux, Evgenia Dodina, mère perpétuellement épuisée par la puérilité subite de son mari et par le drame qui la frappe, et surtout Shai Avivi, père au sérieux imperturbable, prêt à tout, même à humilier des enfants au ping pong, pour franchir l’obstacle du chagrin. Le formidable sens du tempo comique de l’acteur, célèbre en Israël pour sa participation à un talk-show satirique, fait beaucoup pour ce récit de deuil déjanté qui ne franchit jamais les limites du mauvais goût et conserve un regard pudique sur ce drame. En équilibre sur un fil tragi-comique, Une semaine et un jour est une pépite de délicatesse et d’humour qu’il faut prendre, bien plus qu’un film sur le deuil, comme une formidable ode à la vie.