On ne sait jamais vraiment qui tient la caméra, dans Still recording. Au cours de combats de l'Armée syrienne libre pour prendre Douma au régime de Bachar-el-Assad en 2012, ou dans les appartements de Damas, tout proches, les images sont saisies à la volée, souvent en marchant, quand l'appareil n'est pas simplement posé par terre ou, comme dans la première et la dernière séquences, lâché à cause d'un tir qui tue – c'est le hors-champ, non révélé, des images d'ouverture – ou qui blesse le cameraman. Le générique donne la liste des huit opérateurs qui ont, des débuts de la révolution syrienne en mars 2011 et jusqu'en 2015, pris les images composant la mosaïque chaotique du documentaire.
Still recording n'est pas pour autant un collage de scènes trouvées, comme l'était Eau argentée d'Oussama Mohamed en 2014. Les plans sont liés entre eux par une autre force que celle du montage. Dès la deuxième séquence, le film fait de la transmission son motif profond : on y voit Saeed Al Batal, co-réalisateur et personnage récurrent, initier un groupe aux fondamentaux du cadrage en analysant un extrait de blockbuster hollywoodien : « Avec le budget de ce film, on pourrait construire plusieurs hôpitaux en Syrie. Ce n'est pas grave, apprenons de ce qu'ils font. » Mais surtout la caméra passe de mains en mains, que ce soit au milieu des ruines, dans une soirée entre amis ou à la toute fin de l'émouvant dernier plan, qui donne son titre au film, lorsqu'un homme dont on ne verra pas le visage ramasse l'appareil abandonné par l'opérateur blessé pour constater qu'il « enregistre toujours ».
Le passage de relais, aussi fait d'interpellations – tel combattant, telle femme passant par là demandent à être filmés – d'amitiés et de brèves rencontres, suffit à cimenter cette chronique dispersée de la guerre civile, amalgamant des situations en apparence éloignées par des raccords qui ne font que respecter des voisinages réels… Un plan stupéfiant éclaire brusquement, au milieu du film, l'invraisemblable proximité entre la vie ordinaire de Damas et les tirs qui font rage dans son immédiate banlieue, Jobar : depuis un immeuble dévasté par les bombes, on voit, au téléobjectif, le trafic tranquille de la ville. On bascule pareillement du quotidien de quelques étudiants en art de la capitale à un enterrement de dizaines de cadavres dans une fosse commune, ou d'une soirée passée par un sniper de l'Armée syrienne libre à danser chez lui sur du rap au même se mettant en embuscade, quelque part dans Douma.
Comment vivre et lutter dans la schizophrénie guerrière ?… Enserrant Damas et Douma dans un même labyrinthe tremblant, Still recording dresse ainsi, en creux, l'image sensible d'un pays qui cherche d'abord à se réconcilier avec lui-même.