Ce film raconte avec un classicisme fort sage l’histoire d’une jeune femme qui heureusement le fut beaucoup moins. Tout débute dans les années 1890, celles de la Belle Époque. La jeune Gabrielle Sidonie Colette a tout d’une péquenaude inoffensive, avec ses robes simples, ses longues tresses, quand Henry Gauthier-Villars, surnommé « Willy », la séduit. Elle a tout juste vingt ans et lui quatorze de plus quand ils se marient. Elle porte sur son visage l’inexpérience de son jeune âge, lui dissimule sous sa barbe un passé de véritable serial-séducteur compulsif. Après le mariage, vite conclu, la jeune fille en fleur débarque à Paris, impressionnée par la bruyante capitale, tellement étrangère à la luxuriance de sa Bourgogne natale dont seul l’accent rocailleux la poursuit comme un beau souvenir (chose forcément impossible à reproduire dans un film anglophone, malgré l’interprétation bluffante de Keira Knightley).
Willy (Dominic West, parfait dans ce rôle de vil séducteur) est un critique musical en vogue, écrivain, mais le plus souvent par procuration : il signe plus d’œuvres qu’il n’en écrit, ayant recours à des prête-plumes qu’il paie au lance-pierre. Sa notoriété l’amène à fréquenter les plus prestigieux salons littéraires de l’époque, entraînant sa compagne farouche dans son sillage. Si elle n’y brille pas par ses tenues, elle y étincelle rapidement par son esprit, sa grande liberté de ton qui étonne et séduit le tout Paris, qui a vite fait de s’éprendre d’elle, tandis qu’elle l’observe, s’acclimate à son nouveau milieu. Elle s’affranchira vite de ses vieilles nippes et d’une partie de son nom à rallonge pour se faire appeler d’un plus percutant « Colette », se créant un style « à part » qui rehausse sa beauté atypique.
Progressivement Colette se rend visible, incontournable, et il faut au moins cela pour ne pas faire tapisserie au bras d’un Willy dont on a l'impression qu'il est connu de toutes les femmes de Paris. Il a beau essayer de la maintenir à l’écart de certaines réalités, Colette, malgré son amour, ne reste pas dupe longtemps. Au gré des supercheries et mensonges médiocres de son époux, la jeune femme s’aguerrit, s’émancipe. Loin de se laisser dépasser ou abattre, elle en fait une force, fuyant le joug de la domination masculine, multipliant à son tour les expériences et les conquêtes qui ne dérangent guère Willy tant qu’elles ne sont que féminines.
On ne va pas vous raconter ici toute la vie tumultueuse de Colette (romancière, actrice, mime, journaliste…), le film est là pour le faire ou lui donner un éclairage in situ si vous la connaissez déjà. Ce qui est le plus passionnant, c’est de resituer l’écrivaine sulfureuse dans l’ambiance de l’époque, de ressentir le poids du patriarcat qui restreint les possibilités d’avenir des femmes. Si son œuvre fait tâche d’huile, se répand si vite, c’est qu’elle est tout à fait moderne, donne une voix à ce que chacune vit tout bas. On est plongé dans son cheminement intérieur, son attachement si particulier à Willy qui se transformera par la suite en désamour profond. Elle lui pardonnera beaucoup de choses, mais jamais de ne pas avoir rendu son nom aux écrits dont elle accouche pour celui dont elle est devenue la « négresse » littéraire. Au fur à mesure que la série des Pauline s’égraine, que chaque livre devient un best-seller, la célébrité de Willy qui augmente phagocyte la reconnaissance de l’écrivaine. Colette trépigne, engluée au fin fond du rôle dévolu aux femmes. C’est bel et bien Willy qui récolte les fruits de ce qu’elle a semé et qui refuse de rendre à Colette ce qui appartient à Colette…