SEMAINE DE LA CRITIQUE 2019
Un monde parfait
Garret Shanley et Lorcan Finnegan collaborent depuis plus de dix ans, ayant notamment réalisé ensemble le court métrage Foxes, qui a été le catalyseur de Vivarium. Cette histoire “de science-fiction surréaliste dépeignant un contrat social” a été longuement travaillée en écriture par les deux hommes, les derniers changements étant apportés à quelques jours du tournage. Mais, comme le rappelle Lorcan Finnegan, “le financement de Vivarium a pris tellement de temps que nous avons fait Whitout Name, mon premier long métrage, entre les deux”. Le développement a été financé par la société du cinéaste, Lovely Productions, le projet étant ensuite coproduit avec Fantastic Film, puis des partenaires danois et belges. Restait à trouver les comédiens. “J’ai rencontré Imogen Poots à Londres, elle a adoré le projet et je voyais en elle le personnage de Gemma. Une fois qu’elle a officiellement donné son accord, nous avons eu des discussions sur le rôle de Tom. Nous pensions que Jesse Eisenberg serait génial, qu’il répondrait aux idées et aux métaphores du scénario. Elle lui a fait suivre le script et, quelques jours plus tard, il nous a fait savoir qu’il l’aimait. Je l’ai rencontré à New York et nous avons parcouru les rues pendant des heures pour parler du film en jouant avec son bébé. Il est officiellement monté à bord et nous avons pu arrêter une date.” Le tournage s’est déroulé dans des décors construits en Belgique et en Irlande. “Nous avions un budget serré, donc c’était très difficile de faire en sorte que tout fonctionne entre les décors, les différents plateaux et les effets spéciaux. J’ai eu un petit syndrome de stress post-traumatique à la fin, mais je pense que tout fonctionne.”
« Réussissez votre vie : faites un emprunt ! » Cela pourrait être la morale inversée de cette fable intrigante, dans laquelle rien n’est neutre. Elle est comme ces poupées russes qu’on ouvre, toujours étonnés d’en trouver une nouvelle à l’intérieur. Sorte de boucle sans fin qui de drôle peut devenir à la longue terriblement inquiétante. On peut croquer à pleines dents dans ce premier film comme dans une confiserie acidulée ou se prendre au jeu de décrypter chaque clin d’œil qu’elle recèle et y voir une puissante parabole sur notre époque et les dérives de nos sociétés hors sols et aseptisées.
Tom (Jesse Eisenberg) et Gemma (Imogen Poots) forment un couple de la classe moyenne, parfait, prêts à fonder un foyer, à recréer cette panacée universelle qu'est la conception d’un petit être qui sera leur, la chair de leur chair. Alors après leurs heures de boulot, lui le jardinier, elle l’institutrice font comme tant d’autres avant eux. Ils pénètrent dans une agence immobilière, tellement proprette qu’elle semble avoir tout pour être honnête. Le sourire figé du commercial qui les reçoit est tellement un cliché convenu que cela ne va pas leur paraitre alarmant. La seule chose inquiétante de cette journée sans faille aura décidément été sa toute première scène naturaliste, vite oubliée : la naissance d’un oisillon grassouillet qui va vite s’avérer être un coucou et qui traitera sans ménagement ses chétifs compagnons de nid…
Bercés par les paroles enjôleuses du vendeur, nos deux tourtereaux lui emboîtent le pas. Quelques coups de volants plus loin, les voilà parvenus dans une banlieue pavillonnaire sage comme une image, ou plutôt comme un tableau de Magritte. Bienvenue à « Younder », que les malicieux traducteurs on traduit par « Vauvert », comme pour nous amener à pressentir que le diable se niche dans les détails, même si on ne voit pas encore le bout de sa queue. « Un magnifique projet qui répondra à tous vos besoins et vos attentes » tel est le slogan que leur assène leur guide qui nous semble de plus en plus suspect. Mais nos deux amoureux n’auront pas le temps de formuler leur scepticisme, l’agent a tôt fait de disparaître sans crier gare. Rien de plus… Mais très vite les deux amoureux vont s'apercevoir qu'il leur est impossible de quitter les lieux, le labyrinthe infernal des maisons uniformes en rang d’oignon. Jusqu’à l’arrivée, comme par enchantement, d’un étrange paquet cadeau…
Le réalisateur a fait ses classes dans le design, et cela se ressent dans son approche esthétique. Il excelle à constituer un univers voulu si parfait qu’il en est devenu stérile, une zone pavillonnaire si glaçante qu’elle semble émaner d’un cauchemar architectural en 3D. Ici rien ne dépasse, même le dosage des nuages semble avoir été décrété pour camoufler le vide intersidéral d’un ciel sans firmament où nul papillon, ni nul oiseau ne vole. Un lieu hors sol, cosy, sans surprise, coupé de la nature et de tout ce qui fait le véritable sens de la vie.
Lorcan Finnegan, avec malice, s’attache à pointer du doigt ce contrat social tacite qui nous pousse à ne tendre que vers de basses aspirations matérielles. Il dénonce le poids d’une société consumériste qui pousse les gens à s’endetter jusqu’à devenir les esclaves de leurs banquiers. Un système futile qui s’auto-reproduit, qui incite nos enfants à ingurgiter n’importe quoi, des pâtes à tartiner bourrées de sucre et d’huile de palme, de la malbouffe sous vide pour ne plus cuisiner… Et tout ça pour la satisfaction d'un « temps gagné » qui ne sert pas à grand chose si ce n’est à se lobotomiser devant un petit écran. Le miroir déformant que nous tend Vivarium est aussi réjouissant dans la forme qu'effrayant dans le fond. Le secret d'un film d'anticipation réussi.