Le titre de ce remarquable premier film est intelligemment trompeur, car la figure du fils ne sera pas tant le centre du motif que le fil conducteur autour duquel gravitent les principaux protagonistes. Ce dont il s’agit, c’est de ce lien invisible qui relie un homme et une femme, bien au-delà de la notion de couple : la mystérieuse et viscérale sensation d’être parents. Mais le réalisateur n’en reste pas-là, car en filigrane il pose également la question des rôles en général et celui du patriarcat en particulier, qui fige les rênes du pouvoir, depuis des générations, entre des mains masculines.
L’action se situe en Tunisie, pendant l’été 2011, peu après la chute de Ben Ali, ce qui, sans que ce soit appuyé, donne une ampleur politique et sociétale à l’intrigue. Il fallait un casting d’une justesse impressionnante pour que tout cela soit suggéré sans être lourdement souligné, pour qu’on puisse lire entre les lignes. Il fallait un grand acteur comme Sami Bouajila, qu’il déploie tout son art pour qu’on pénètre dans la tête de son personnage, un père habitué à ne jamais se plaindre, à être un roc, le pilier rassurant en toutes circonstances, cachant ses états d’âmes et la panique qui monte…
Ce jour-là, on pique-nique agréablement en pleine nature, sous un soleil complice. Un entre-soi cosy, entre amis modernes, ouverts d’esprits, fiers d’avoir piétiné les fantômes du passé. Encore qu’un spectateur extérieur pourrait douter de leur engagement actif dans la révolution : on imagine en effet mal cette classe sociale largement aisée dans la rue ou les mains manucurées dans le cambouis. Leur vie semble naturellement facile, leur univers bien protégé sous le plafond de verre, derrière les pare-brises de leurs luxueuses bagnoles, dont le gros du peuple n’aurait même pas les moyens de s’offrir une roue… La suite va prouver l’inverse à Farès (Sami Bouajila) et à son épouse Meriem (excellente Najla Ben Abdallah).
En attendant elle fête sa promotion professionnelle. Autour de quelques verres tous rient, échangent des blagues et commentent sans conviction l’actualité. Ici c’est leur petit coin de paradis, loin des tourments du pauvre monde. Ici on peut laisser gambader les mômes sans trop les surveiller, se laisser aller aux confidences, loin des oreilles indélicates.
Puis c’est l’heure de reprendre la route pour retourner au bercail. Farès et Meriem, sur la lancée de cette belle journée qui s’achève, gazouillent encore tel un couple d’inséparables prévenants et jamais lassés l’un de l’autre. À l’arrière, Aziz, leur fils de neuf ans, exulte, tout autant épanoui, réclamant qu’on monte le son. Les trois se trémoussent en rythme, chantant à tue-tête. Il aura suffi de quelques minutes passées en compagnie de cette petite famille modèle pour percevoir la belle complicité qui règne entre eux et la fierté de Farès envers son fils adoré. Il suffira de quelques secondes, d’une balle perdue entre deux bandes armées, pour que le futur semble voler en éclat…
Voilà les deux parents au chevet d’Aziz, grièvement blessé. Habitué à ce que tout leur réussisse, que rien ne résiste à leur pouvoir d’achat, les voilà qui fulminent et qui maudissent l’hôpital local qui n’a pas les moyens de celui d’une capitale, la lenteur des soins, les analyses qui n’arrivent pas et qui ne diront pas ce qu’ils veulent entendre, révèleront même un secret… qu’on vous laisse découvrir.
La caméra filme en scope et ne lâche pas les protagonistes, les pousse dans leurs retranchements, jusqu’à nous immerger au plus proche de leurs états d’âmes, de leur déshérence. Mais jusqu’où peut-on se voiler la face, refuser d’affronter la vérité, jusqu’où peut-on aller pour sauver son enfant, quel prix est-on prêt à payer ?