Olivia est d’origine philippine et travaille comme aide-soignante à domicile auprès d’Olga, une vieille femme russe ashkénaze de Brooklyn. Charmante au demeurant, Olga commence doucettement à perdre les pédales, ne reconnaît plus sa cuisine, confond ses enfants avec ses petits et arrière-petits enfants, au grand désarroi de sa famille. L’indispensable Olivia, qui connaît son Olga sur le bout des doigts, gère avec professionnalisme et humanité la lente dégénérescence de la vieille dame. Pourtant sa propre situation est pour le moins précaire. Comme nombre de ses compatriotes en situation irrégulière, Olivia vit dans la crainte permanente du contrôle d’identité et de la reconduite à la frontière. Un Américain a bien accepté de l’épouser pour qu’elle puisse obtenir un statut légal – aux États-Unis, c’est même un business répandu et assez lucratif. Mais il a empoché une avance et fait le mort, et Olivia ne sait pas si ces noces de papier se matérialiseront un jour. C’est alors qu’elle rencontre Alex, le petit-fils d’Olga, totalement craquant avec sa petite gueule d’ange marquée par les coups durs d’une vie de patachon – l’alcool, les addictions, la prison… Pour l’heure ouvrier d’abattoir « à l’essai » chez un tonton un rien despote, Alex lutte tant bien que mal contre ses démons, et se laisse peu à peu émouvoir et séduire par la fragile jeune femme. Jusqu’à la découverte inopinée du secret pourtant bien enfoui de l’identité d’Olivia. Entre Olivia et Alex grandit un amour douloureux où se télescopent désirs, non-dits, passion, rechutes, petites et basses vengeances…
Les premiers plans de Brooklyn secret montrent un New York étrangement vide, qu’il s’agisse d’une station de mé- tro ou de Coney Island. Le film laisse de la place au silence comme à l’introspection, et met en scène la solitude dans la- quelle se trouve Olivia, femme sans papiers dans l’Amérique de Trump. « En regardant le début du film, on s’attend peut-être à un style brut, néoréaliste. J’ai voulu tenter quelque chose de différent – une sensibilité alternative au tiers-monde. Je voulais faire un film qui touche à des questions sociales comme l’immigration et les questions de genre mais qui puisse être lyrique, séduisant et mélancolique. Il y a une certaine délicatesse dans la composition, la richesse des couleurs et la langueur du rythme ; tout cela participe à faire un film politique et sensuel. […] J’ai toujours été attirée par les récits de femmes marginalisées d’une manière ou d’une autre, et qui se retrouvent à faire des choix intensément personnels dans des milieux socio-politiques tendus. Mes personnages font inévitablement partie du tissu social – ils ne vivent pas dans le vide – et c’est pourquoi mes films sont par essence politiques. ». De la violence du contexte politique, on n’entend que quelques bribes à la radio. C’est suffisant pour comprendre ce à quoi Olivia est confrontée.
Si les problématiques finissent par se recouper, le film ne documente pas son personnage : son authenticité vient de ses qualités d’écriture, de l’interprétation charismatique et sans effets de Sandoval elle-même ; elle vient peutêtre aussi de l’expérience de la comédienne/réalisatrice. Le ton du film est délicat, sentimental. Mais lucide, sans angélisme. Isabel Sandoval se penche avec sensibilité sur son héroïne solitaire et invisible et parvient, sans didactisme et avec nuance, à la faire exister avec intensité.