Voilà une nouvelle reine qui descend de son piédestal, exhumée de nos livres d’histoire pour apparaître plus complexe à l’écran, plus humaine et contemporaine que ne la momifiaient nos leçons moult fois rabâchées. Décidément, les cinéastes, ces temps derniers, prennent un malin plaisir à farfouiller dans les jupons illustres du passé, dans ces destinées qui nous faisaient rêver petits avant qu’on découvre le revers de la médaille, les têtes qui tombent, la violence sanguinaire des prétendants aux trônes, mais aussi la place de ces femmes tout autant souveraines que prisonnières de leurs cours. Après les récents L’Échange des princesses ou La Favorite – et dans un tout autre genre –, c’est une Marie Stuart comme on ne se l’imaginait guère que l’on découvre dans ce film à la fois spectaculaire et subtil, fastueux dans sa reconstitution historique et intelligent dans son développement. Pourtant, le personnage de Marie 1re d’Ecosse n’aura cessé durant presque cinq siècles de fasciner les auteurs et c’est tout naturellement cette figure emblématique que choisit pour son premier film Josie Rourke, débutante au cinéma mais très connue et appréciée dans le monde du théâtre londonien.
C’est que la personnalité de Marie et son parcours sont aussi atypiques que romanesques, avant de la conduire à une fin tragique. En définitive, celle qui faillit devenir triplement reine finit, en quelque sorte, par être triplement décapitée, tant le bourreau qui tenait la hache était ivre. Mais ne commençons pas par le début de la fin…
D’abord reine d’Écosse par la naissance, puis de France par son mariage avec François II, Marie Stuart aspirera toute sa vie à devenir souveraine d’Angleterre, bien que la place soit occupée par sa cousine Élisabeth 1ère, qui refusera de reconnaître sa légitimité. Dans le fond, les deux souveraines partagèrent toujours la même ambition qui les divisa : regrouper leurs deux pays. Aucune n’étant prête à plier le genou devant l’autre, une haine jalouse ne cessera de grandir entre ces deux femmes d’exception qui avaient sans doute tout pour se comprendre et s’aimer. Une haine attisée par leurs entourages respectifs, prêts à toutes les trahisons pour étancher leur soif de pouvoir. Et c’est à ce duel par procuration entre les deux reines que le récit s’attache, exaltant, passionné. L’une et l’autre aux prises avec un alter ego fantasmé, toutes deux accablées par le poids de leur couronne, entourées de mâles qui n’ont d’autre désir que de les détrôner. On s’empresserait bien vite de les engrosser si on pouvait, histoire de dominer leur ventre et la scène politique, de les reléguer à des rôles de pantins, de femmes de paille, subalternes. Ni l’une ni l’autre ne sont dupes. Et s’il serait tentant de baisser la garde, de se reposer un peu sur les épaules bien charpentées d’un homme, chacune à sa manière résiste, cultivant son indépendance. Même ténacité, même détermination, deux intelligences vives, deux femmes d’une grâce inouïe, dressées pour surplomber le monde. Chacune composant avec ses failles, camouflant sa vulnérabilité. Élisabeth avec son ventre stérile qui l’empêche de consolider sa dynastie. Marie avec avec ses élans du cœur mal maîtrisés, imprudente jusqu'à prêter le flanc à ses détracteurs. La douce rêveuse, qui se croyait capable de réunifier protestants et catholiques, ira de Charybde en Scylla…
Il fallait tout le talent de Saoirse Ronan pour interpréter Marie Stuart et celui de Margot Robbie pour lui tenir tête. Incandescentes, elles composent à l’écran un duo indissociable, comme les deux faces d’une même pièce, destinées à ne jamais se rencontrer.