Trompeuses, flatteuses, pernicieuses, elles font et défont les gloires et les réputations, elles importent tant mais valent finalement peu : les apparences…
Dans ce film âpre et parfaitement mené, Claude Chabrol est implicitement convié à la valse (viennoise), lui qui était passé maître dans la peinture cinglante et souvent très noire de ces milieux de bourgeoisie provinciale où le vernis cachait les desseins les plus vils, où les pires vacheries se faisaient avec de grands sourires et où, surtout, il fallait à tout prix et quoi qu’il en coûte les sauver, ces belles apparences.
Mais les temps ont changé et, mondialisation oblige, on a élargi le cercle du jeu de massacre : c’est au niveau européen que la partie se joue. A Vienne, les « expats », comme ils s’appellent entre eux, forment une petite communauté bien à part. On se reçoit chez les uns, puis chez les autres, on se retrouve dans les mêmes endroits chics, on va aux mêmes spectacles et l’on se sourit poliment devant la même grille de la mission française où l’on a inscrit, en toute évidence, sa progéniture. Une vie qui s’écoule au gré des mutations et où les seules grandes préoccupations de l’existence semblent être de trouver le bon plan pour dénicher la meilleure baguette de la ville, ou la meilleure recommandation pour récupérer la perle rare qui saura parfaitement découper et servir le saumon lors de la prochaine réception mondaine… Dans ce microcosme, les femmes ont un statut bien défini. Souvent simples épouses qui ont suivi la mutation de monsieur, elles assurent fièrement l’intendance, la gestion des relations, la déco de l’appartement de fonction, la scolarité des enfants et permettent au vernis social d’être impeccable et brillant en toutes circonstances. En France, elles seraient considérées comme de banales femmes au foyer, ici à Vienne, elles sont des privilégiées.
Eve semble évoluer avec la plus grande aisance dans ce bain bourgeois. Il faut dire qu’elle a une place de choix, en sa qualité d’épouse du célèbre chef d’orchestre Henri Montlibert, venu pour quelques saisons diriger le prestigieux orchestre symphonique de la ville. Au-delà de son rang, elle jouit d’un éclat supplémentaire, celui d’être associée à l’art, le noble, le grand, celui qui se hisse au-dessus de la plèbe. D’ailleurs, ce n’est pas tout à fait un hasard si Eve occupe aussi les fonctions de directrice de la bibliothèque française, histoire de bien cocher aussi la case « expat cultivée ».
Eve s’appelle en réalité Evelyne et à l’entendre converser de manière agacée avec sa maman, on sent bien qu’elle prend ici une revanche sur sa classe sociale d’origine, bien plus modeste que celle de ses amies, et qu’elle met du cœur et de l’énergie à se glisser dans la peau et le brushing de l’épouse bourgeoise modèle. Peine perdue pourtant… puisqu’elle découvre la plus que probable infidélité de son mari…
Le jeu des apparences s’exacerbe alors et il est terrifiant… Ce qu’elle va dire, ce qu’elle va manigancer, ce qu’elle va imaginer pour conserver son aura, sa réputation, pour garder la face et ne perdre aucune miette de tout ce qu’elle a acquis… tout ce déploiement de coups tordus va la mener sur un terrain aussi périlleux que boueux.
Mécanique et comédiens impeccables, seconds rôles brillants et un scénario mené parfois aux limites de la caricature (mais c’est volontaire), voilà un divertissement diablement efficace sur fond de thriller amoureux.