Après le beau et intrigant La Llorona, voici le deuxième film qui nous arrive du Guatemala cette année, et c’est une petite merveille. Nuestras madreséclaire tout un pan de l’histoire du pays, trop vite oublié et passé sous silence. Il faudra bien finir un jour par l’écouter afin que s’apaisent les douleurs des vivants et les âmes des disparus qui réclament reconnaissance et réparation.
Qu’elles sont belles ces mères, ces grand-mères qui ont trop connu le soleil ! On se perdrait volontiers dans les méandres de leurs peaux burinées, forgées par les intempéries, les affres de la vie, ses joies trop courtes. À voir leurs airs dignes et graves, on devine qu’elles sont des survivantes, dans un monde qui épargne plus volontiers les reproductrices, celles qu’on peut engrosser pour perpétuer une lignée. Autour d’elles, bien peu d’hommes de leur âge, comme s’ils s’étaient étrangement volatilisés…
Le film débute sur une magnifique renaissance, un retour vers l’humanité. Les gestes d’Ernesto sont aussi délicats que ceux d’une sage-femme. On ne peut s’empêcher d’en admirer la précision méticuleuse, aussi respectueuse qu’émouvante. Pourtant, dans le puzzle des ossements, d’une propreté virginale, que le garçon en blouse blanche reconstitue, il n’y a plus une once de vie. On ne s’étonnera pas longtemps qu’on puisse consacrer autant de temps à ceux qui ne sont plus, réalisant, à travers la dignité des gestes, qu’en réparant les morts, on répare aussi les vivants, leur mémoire. Ici s’ouvre la fosse qui maintenait prisonnière la parole.
Une seule chose reste réellement intrigante dans cette première scène, c’est l’incroyable jeunesse de l’anthropologue débutant : on se dit qu’à son âge il devrait profiter de la vie, courir le guilledou, plutôt que passer ses journées en compagnie de cadavres… C’est dans la relation avec sa propre mère, Christina, qu’on va découvrir une première clef à sa quête acharnée. Puis une seconde, dont lui-même ne se serait pas douté. On a parfois devant le nez des évidences qu’on se refuse à voir, tant elles nous font violence. Alors, inconsciemment on les camoufle sous un tapis tissé d’illusions et de chimères.
C’est un procès, conjugué aux enquêtes que mène Ernesto pour son travail, qui va tout réveiller, bouleverser ses convictions. À force de consacrer ses journées à essayer de restituer la vérité pour les autres, il en avait oublié de reconstituer la sienne propre. De village en village, en écoutant les témoignages poignants de ceux et celles qui attendent depuis des décennies de pouvoir offrir une sépulture honorable à un père, à un mari, à un enfant, Ernesto va être amené à se poser et à poser à sa mère de nouvelles questions, de celles qui font mal. La force de ces femmes qui résistent à l’oubli va venir nourrir la sienne.
Christina, elle, aimerait continuer à se taire, à essayer d’oublier, malgré la magnifique complicité qu’elle nourrit avec son fils. Mais progressivement ce dernier va venir gratter le vernis qui dissimule les secrets, les non-dits qui retenaient, derrière une digue invisible, un passé inavouable…
C’est un film splendide, habité par la grâce, la beauté, porté par l’interprétation magistrale des acteurs et actrices et aussi par la présence de ces hommes, et surtout de ces femmes, indigènes, indiennes, qui témoignent à l’écran, dans cette fiction captivante qui s’imprègne d’une part bouleversante de documentaire.