Il faut bien reconnaître que les films biographiques sur des artistes ne sont pas toujours des réussites exaltantes. Euphémisme. On préfère ne pas entamer la longue litanie des écrivains, peintres, musiciens, cinéastes, dont la vie et l’œuvre ont été rendues insipides par de mauvais cinéastes démonstratifs. Alors quand on a appris qu’on nous proposait un biopic sur Mary Shelley, la géniale auteure de Frankenstein (écrit à l’âge de 18 ans !), jeune prodige qui s’est imposé dans le monde littéraire du XIXe siècle – où les femmes étaient condamnées à la poésie ampoulée ou à la littérature romanesque forcément courtoise –, on a été pris d’une certaine crainte. D’autant qu’un film certes oublié de beaucoup mais inoubliable pour certains, le Gothic du génie érotomane et cinglé Ken Russell, avait déjà raconté cette nuit d’orage et de débauche qui vit germer dans le jeune esprit de Mary la folie de Frankenstein. Et puis le nom de la réalisatrice Haifaa al-Mansour nous a mis la puce à l’oreille. Un nom pas franchement britannique puisque venu d’Arabie Saoudite, cette jeune femme n’étant autre que la brillante réalisatrice (la première dans son pays) du très chouette Wadjda, film qui racontait la lutte d’une adolescente saoudienne pour conquérir le droit de faire du vélo. Peu de rapport me direz vous entre l’univers de la réalisatrice et la culture historique et littéraire de l’Angleterre georgienne (du nom des rois George qui se sont succédé sur le trône)… C’est bien ce que s’est dit au départ Haifaa al-Mansour, sollicitée par des producteurs britanniques, mais finalement elle a su voir une communauté de destin entre les artistes saoudiennes contemporaines, obligées comme elle de se battre pour trouver leur place en tant que femmes, et une Mary Shelley, fille d’écrivains qui n’avaient jamais rencontré le succès, qui décida de s’imposer par ses écrits.
Mais avec son regard de femme, Haifaa al-Mansour raconte aussi, au-delà de la genèse de Frankenstein, le douloureux éveil à l’amour de la jeune écrivaine. En 1814, Mary Wollstonecraft Godwin, 16 ans, rencontre le fascinant poète Percy Shelley, apprenti chez son père écrivain devenu libraire. C’est le coup de foudre immédiat et contrairement à toute convenance, Mary s’enfuit avec le jeune homme dont elle découvre qu’il est toujours marié et père d’une jeune enfant. Mais qu’à cela ne tienne, même ce vilain secret révélé ne la décourage pas. C’est le scandale absolu, le désaveu total par son père pourtant aimant. Après la période d’euphorie d’une existence bohème mais confortable, c’est l’heure des désillusions, la misère après la vie dispendieuse. Puis Mary se rend compte que son prince charmant peut être un redoutable pervers narcissique, notamment aux côtés de son âme damnée Lord Byron chez qui ils se réfugient non loin de Genève, justement là où germa Frankestein.
Le film, classique mais extrêmement bien mené et mis en scène avec classe, ne serait pas aussi fort sans l’interprétation remarquable d’Elle Fanning – que les hasards de la programmation nous font découvrir au même moment sous les traits d’une extraterrestre délurée dans le jubilatoire How to talk to girls at parties. Au début du film, Mary a 16 ans, elle est confite d’innocence romantique funèbre, à la fin elle a une vingtaine d’années, elle est marquée par la gravité du destin et l’âpreté du combat mené pour s’imposer. Elle Fanning (19 ans au moment du tournage) décline merveilleusement toutes les facettes du personnage, du bonheur au drame. Mary Shelley confirme ainsi en beauté le talent multiforme d’une jeune actrice en même temps que le brio d’une réalisatrice capable d’investir des univers très différents.