Il y a quelques années, la capitale espagnole se réveillait déserte pendant l’été : le pouvoir d’achat de ses habitants leur permettait de fuir la chaleur extrême et de passer un mois à la plage, à la montagne ou à l’étranger. À présent, ce n'est plus le cas. Ceci a changé et chaque été, de plus en plus de gens restent chez eux, car l’économie du pays ne permet plus ces petits luxes du passé, pas même une escapade dans le village où vit la famille. Et Madrid pour le plaisir de ceux qui se retrouvent échoués dans ses rues et terrasses étouffantes de chaleur, offre à ceux-là, pendant la première quinzaine d'août, une succession de festivals populaires avec une saveur authentique sans équivoque : les fêtes de San Cayetano, San Lorenzo et La Paloma, célébrées dans les quartiers très prisés de Lavapiés, Cascorro et La Latina. Dans ces mêmes lieux, pendant cette période, Jonás Trueba a tourné, il y a un an, son cinquième long-métrage, intitulé Eva en août (La virgen de agosto).
Que Jonás aime Madrid est ici aussi évident que dans le film de son père Fernando, Ópera prima, cette comédie de 1980 interprétée par Óscar Ladoire et Antonio Resines qui avait le Teatro Real pour toile de fond. Les quartiers que fréquente quotidiennement le jeune cinéaste madrilène servent de décor à presque tous ses films – c’est quelque chose qu'a toujours fait, par exemple, Agnès Varda. Comme la maestra française, toujours aimée et qui manque beaucoup au cinéma, Jonás dépeint le petit, les détails, ce qui est presque impossible à appréhender, pour parler du grand, des sentiments les plus complexes et des doutes les plus existentiels, mais toujours sur un ton léger, le ton de l'évasion, un ton sans transcendance qui, goutte à goutte, finit par infiltrer l'âme du spectateur. Trueba a coécrit le scénario de ce film joyeux et festif avec son actrice Itsaso Arana (déjà dans son film précédent, La reconquista [+]). En suivant son personnage central, une femme en dérive sentimentale, il guide le spectateur dans un Madrid torride qui lui permet, grâce à la détente estivale et à la dilatation temporelle qu'imposent les hautes températures du mois et qui font que le regard redevient curieux, de visiter comme un touriste les lieux proches de sa vie qui sont relégués à l’oubli le reste de l’année. Entre les rendez-vous avec des amis, la naissance de nouvelles relations, les retrouvailles inattendues, les fuites incertaines, les bains dans une rivière proche de la ville, les concerts nocturnes Plaza de la Paja, la procession du Saint, quelques conversations cinéphiles et beaucoup de terrasses, le tout très loin d'une image de carte postale, en cherchant au maximum la quotidienneté et le reflet d’un état émotionnel amniotique, dans une lumière diurne blanche que rend bien la photographie de Santiago Racaj (le collaborateur habituel de Jonás Trueba), le réalisateur compose un film immersif, avec un dénouement où l'on vénère avec dévotion la féminité : tout un acte de foi qui fait de cette œuvre un des paris cinématographiques les plus audacieux, charmants et stimulants de la saison.