Février est l’un de ces films anti-spectaculaires qui brillent d’une poésie ténue mais vivace. De ces films dont la simplicité de la structure et de la dramaturgie parviennent au miracle (tant convoité) : attraper d’un homme un peu de son rapport au monde, et donc approcher de l’insaisissable humaine condition.
Le film dresse le portrait d’une vie humaine à trois âges de son existence. Trois périodes distinctes qui chapitrent le film et au cours desquelles le temps se charge d’une durée propre, celle de la vie calme et ordinaire de Petar, de sa présence au monde.
On ne s’attardera que sur la première partie, le temps de l’enfance, qui donne le ton et le rythme. Nous sommes dans la campagne bulgare inondée par une douce lumière d’été. Petar la traverse de long en large, cette campagne, et ces paysages, il les connaît déjà par cœur, à toutes les heures, sous toutes leurs variations de lumière et pour cause : il est berger, il vit avec son grand-père un peu bourru aux côtés duquel il apprend à s’occuper du troupeau, comme on le fait dans sa famille depuis des générations.
Chaque jour ils partent en garde, là où l’herbe est encore un peu verte, et chaque midi ils cassent la croûte, sous le même arbre. Le soir, ils redescendent les brebis à la ferme et mangent la soupe, avant d’aller se coucher pour recommencer le lendemain, invariablement. Les après-midi sont longues pour un petit garçon de 8 ans. Mais là où le grand-père profite du temps de pâture pour faire la sieste, Petar, lui, part explorer les sous-bois à la rencontre de son imaginaire, et jouer avec ses peurs d’enfant.
Comme le présage la présence de ce grand-père peu loquace, c’est une vie simple qui attend Petar, une existence humble rythmée par l’ordinaire d’une vie paysanne, solitaire et silencieuse. A l’image de ses personnages, le film est taciturne mais riche. Cette vie est rude, mais pas inhospitalière ; modeste, mais pas austère. Ici monotonie ne rime pas avec ennui, les temps vacants ne demandent à être emplis d’aucun événement. Au contraire c’est dans la répétition des paysages, du travail, et du contact quotidien des brebis ou des goélands que vient se loger précisément la singularité d’un rapport au monde dans lequel ne semble se formuler aucune attente. Et c’est cette humilité là qui fait le cœur du film : « il est absurde de prétendre que l’homme soit fait pour autre chose que pour vivre. ».
L’attention portée à la lumière témoigne néanmoins de la richesse de la vie intérieure de Petar : dans ses variations au fil de la journée, des jours ou des saisons, dans ce rayon de soleil qui perce le bosquet ou qui brûle les épaules nues, comme dans la brume qui le diffuse bruyamment.
Il y aura pourtant l’expérience d’un ailleurs, avec la proposition d’une autre vie, mais celle-ci n’aura pour effet que de renforcer l’évidence de sa vie paysanne : Petar ne cherche ni la conquête ni la jouissance, être lui suffit.
Sacré pari de la part de Kamen Kalev que de nous inviter à suivre un personnage qui vieillit mais ne bouge pas ! Mais si la dramaturgie est délibérément épurée, chaque plan trouve sa propre durée, sa propre force et vibre d’une lumière particulière. Le film a été tourné en super 8, et c’est une lumière éminemment terrestre qui a impressionné la pellicule, à l’image des acteurs qui sont des gens du pays (et non professionnels, sauf pour l’un d’entre eux).
Février est donc un film rare dont l’intensité n’est pas forcément palpable tout de suite. Sa force s’éprouve surtout à l’issue de la projection et gare à vous si elle vous attrape. De mon côté elle n’a toujours pas fini de se déployer, je n’oublierai jamais cet homme.