« Le langage est une peau : je frotte mon langage contre l’autre. Comme si j’avais des mots en guise de doigts, ou des doigts au bout de mes mots. Mon langage tremble de désir. » (Roland Barthes, Fragments du discours amoureux)
Dans la filmographie d’Emmanuel Mouret, il y aura incontestablement un avant et un après Mademoiselle de Joncquières. D’abord parce que ce film aura donné au réalisateur une belle notoriété par son succès public et critique, mais surtout parce qu’il semble avoir agi comme un puissant activateur de son cinéma, révélant le meilleur de son talent, affirmant sa maîtrise de la mise en scène, offrant un solide écrin pour son écriture, si particulière, si littéraire.
Qui l’a suivi depuis ses premiers films (et si vous êtes un(e) fidèle, vous avez eu l’occasion de tous les voir car ils ont tous été programmés à Utopia) pourra incontestablement mesurer le chemin parcouru et se rendre à l’évidence qu’il fait aujourd’hui partie des grands peintres/cinéastes du sentiment amoureux. Qui demeure, pris sous toutes ses formes et à travers toutes ses lumières, une inépuisable source d’inspiration. Et quand il s’exprime à travers le regard espiègle et kaléidoscopique d’Emmanuel Mouret, c’est une fois encore un ravissement. Parce qu’il faut bien l’admettre : quand le texte est beau, minutieusement travaillé, sans pour autant sonner faux, ou creux, ou pédant, c’est du miel pour nos oreilles. Qui entraînent nos yeux dans la danse. Et de miel, en ce moment, on en a bien besoin.
Mademoiselle de Joncquières nous montrait des personnages éminemment modernes bien qu’en costumes du XVIIIe siècle, Les choses qu’on dit, les choses qu’on fait raconte des couples d’aujourd’hui qui n’auraient pas déparé dans les salons éclairés à la bougie d’un siècle révolu. Ils possèdent tous un art de se raconter, une affinité singulière pour penser et décrire ce qu’ils ressentent qui semblent venus d’une autre époque. Une époque où l’art de la conversation n’avait pas abandonné le terrain au tout numérique, une époque où l’on tendait vraiment l’oreille à ces fragments d’un discours peut-être déjà, ou pas tout à fait encore, « amoureux ».
Comme souvent, le cinéaste a pris le parti non pas d’une seule narration, mais d’un entrelacement de récits qui se choquent, se croisent, s’interrogent et s’interpellent, comme une poupée russe révélerait ses multiples secrets.
Daphné, enceinte de quelques mois, est en vacances avec François, amoureux d’il y a peu. Contraint de s’absenter quelques jours pour son travail, François la laisse seule accueillir Maxime, son cousin qu’elle n’a jamais vu… Un garçon tout ce qu’il y a de plus charmant, délicieusement timide, et quelque peu impressionné par la sémillante future mère.
Chacun se livre alors et les histoires se déroulent. Comment Maxime est tombé amoureux de Victoire qui a craqué pour son meilleur ami Gaspard… Comment Daphné, éperdue secrètement d’un réalisateur charismatique, est tombée sous le charme de François, un homme marié… Et comment Louise, épouse bafouée, a fièrement réécrit l’histoire de sa propre trahison.
Au son délicieux d’une Valse d’Adieu de Chopin, d’une Arabesque de Debussy ou d’une Sonate de Hayden, on en saura bien plus encore… Ce que chacun a dit sans le faire, ce que chacune a fait sans oser le dire… Tous les personnages, sentimentaux, cruels, lâches ou flamboyants, sont animés d’un même élan amoureux et pour cela, on leur pardonnera tout.
« Les choses qu’on dit, les choses qu’on fait, ce titre évoque pour moi l’un des grands plaisirs du cinéma, celui qui consiste à confronter un personnage à ses paroles : fera-t-il ce qu’il a dit ? Est-il vraiment celui qu’il prétend être ? Le suspense au cinéma peut aussi être créé par la parole et c’est au spectateur de s’amuser à mesurer l’écart entre celle-ci et les actions qui suivront. » (Emmanuel Mouret)