Précisons-le tout de go : Minari de Lee Isaac Chung est un film absolument américain, quand bien même sa langue majoritaire est le coréen. Preuve supplémentaire de l’incroyable melting-pot états unien. Le récit, semi-autobiographique, est délicieusement construit autour du double du réalisateur à l’âge de 7 ans… David est un gamin facétieux, dont le regard espiègle observe goulument et tâche de décrypter le monde des adultes, qui bien sûr se résume essentiellement à celui de ses parents.
L’action se déroule en Arkansas, où la petite famille sud-coréenne déboule sur un coup de tête du paternel, bien décidé à tenter sa chance après avoir échoué à se faire une bonne vie en Californie. À l’arrivée dans leur nouvelle région, les parents reprennent le travail qu’ils avaient sur la côte ouest et qui consiste à trier les poussins à la chaîne : on garde les femelles (qui feront de bonnes poules pondeuses élevées en batterie), on broie les petits mâles – c’est à se demander quel est le sort le plus enviable –. Ah ! Les secrets dessous de la grande distribution ! Force est de reconnaitre que la perspective de s’adonner au sexage de poussins chaque jour que Dieu fait ressemble plus à une condamnation à perpétuité qu’à l’accomplissement du « Rêve américain ». Ce n’est guère une vie dont on peut être fier devant sa progéniture et, malgré des heures de dur labeur, elle ne sort personne de la précarité.
Alors un beau jour, Jacob, le père de David, prend le taureau par les cornes et décide d’entraîner tout son monde dans un nouveau projet. Son idée : devenir paysan ! Les voilà propriétaires d’une terre réputée improductive. Les enfants se tiennent prudemment cois tandis que la mère, Monica affiche son scepticisme, d’autant plus qu’elle ne digère pas qu’ils soient logés dans un mobile home… Tout cela est tellement loin de la réussite escomptée, de ses ambitions pour sa famille. Les voilà dans un trou paumé où le voisin le plus proche s’avèrera être un vieux timbré loufoque prêt à évangéliser la terre entière et à porter sa croix pour sauver le monde du péché. Un personnage haut en couleurs, qu’on croirait tout droit sorti d’un film des Monty Python ou d’Alejandro Jodorowsky !
Progressivement le couple semble au bord de l’implosion. Les enfants, eux, sont déjà sans le savoir bien plus américains que leurs parents qui cherchent encore désespérément à « s’intégrer »… L’arrivée de leur grand-mère coréenne (excellentissime Yuh-Jung Youn), venue à la rescousse pour s’occuper d’eux, va créer comme un choc des cultures. En tous cas elle ne va pas arranger les affaires de notre petit David, qui va devoir partager sa chambre avec elle et qui ne se privera pas de faire remarquer qu’elle « pue » la Corée, ronfle, porte des caleçons de mec, ne sait pas faire les gâteaux, jure comme un charretier… Bref, Soonja, est tout sauf une gentille mamie à la Walt Disney ! De là à dire qu’il la déteste, il n’y a qu’un pas…
Pourtant Soonja, avec ses drôles de façons, s’avérera porteuse d’émancipation, de dissidence. C’est une femme prête à tout entendre, qui dit sans hésiter ce qu’elle pense et qui se moque bien du regard des autres. Elle est sans filtre, atypique autant que malicieuse… et c’est comme si elle apportait dans sa besace un morceau de Corée… Elle aura tôt fait de trouver le bon coin pour semer des graines de « minari », ces herbes typiques de la cuisine traditionnelle, à la saveur soutenue, au feuillage de dentelle délicate… Tout comme l’est ce joli film à la beauté discrète, qui nous immerge dans l’intimité de cette attachante maisonnée. Rien n’est appuyé, tout reste digne, jusqu’à la façon d’évoquer le petit racisme ordinaire, sans en faire un drame. Et tout comme le minari qui parvient à pousser en terre si peu hospitalière, peut-être la petite famille finira-t-elle par réussir son enracinement après son déracinement…