Gloria mundi s’ouvre sur une joyeuse naissance, une mise au monde. Mais quel monde exactement ? Gloria, qui vient de pousser ses premiers cris, esquisse également ses premiers sourires et, à cet instant-là, cette question perd de son importance. Le chômage, les guerres, le réchauffement climatique… soudain tout parait si lointain. L’essentiel, ce sont ces petits doigts de porcelaine fine qui essaient d’appréhender leur nouvel univers, ces lèvres délicates qui cherchent le sein de Mathilda (Anaïs Demoustier), la mère. C’est fou le pouvoir d’un si petit être. Autour d’elle, son père Nicolas (Robinson Stévenin) et ses deux grands parents Sylvie et Richard (Ariane Ascaride et Jean-Pierre Darroussin) sourient benoitement, émouvants. Et là, en spectateurs avisés que vous êtes et qui suivez fidèlement les aventures de la famille élargie de nos Marseillais préférés, vous réalisez tout de suite qu’il en manque au moins un autour du berceau… Gérard Meylan, évidemment ! Justement le voilà qui toque à la porte de l'appartement banal et modeste de Sylvie et Richard, dans un immeuble sans grâce. Le prénom de Gérard dans ce film ? Daniel ! Son pedigree ? Repris de justice ! Voilà qu’il réapparait après un long temps d’incarcération. Il n’a pas besoin de se présenter à Richard, qui lui ouvre la porte. Ce dernier, sans l’avoir jamais vu, sait tout de suite qu’il a affaire à l’ex de sa compagne… Scène simple et belle, très belle parce que très simple… Mais la dévoiler serait pêcher, pas sûr que la Bonne Mère nous le pardonnerait !
Tour à tour on va découvrir les (petits) boulots de chacun. Richard est chauffeur de bus, occasion de revisiter Marseille en un road movie intramuros, d’apercevoir les conséquences des politiques d’aménagement de la ville. Sylvie se fait surexploiter sans mot dire avec d’autres gens de ménage dans une grande chaîne d’hôtels. Les nouvelles générations quant à elles cèdent de plus ou moins bon gré à la tentation de l’ubérisation ou à celle – plus lucrative a priori – des combines douteuses… Dans un monde qui se durcit, chacun développe sa stratégie de survie, tétanisé par la peur, renonçant à l’empathie…
Tout se déroule à la chaleur du midi, pourtant il y a quelque chose de glacial dans la vie des personnages, aux prises avec un des pires monstres que l’humanité ait enfanté : le capitalisme vorace (pléonasme ?). Ils font partie des sans-grade, de ceux qui galèrent et croisent dans la rue d’autres sans-grade qui galèrent encore plus. Pourtant cette fragile humanité ne perd pas sa dignité, même quand elle dégringole. Elle sort alors son arme secrète : la solidarité. La fraternité est loin d’être morte !
Robert Guédiguian est un cinéaste qui, avec les mêmes ingrédients, réussit à toujours nous surprendre. L’ensemble de son œuvre brosse une magnifique fresque, chronique humaniste de notre époque. Au fil du temps qui passe, on a plaisir à y retrouver la même troupe fidèle, à la voir évoluer, s’agrandir avec de petits nouveaux. Bonheur de voir les griffes du temps qui marquent les corps, les expressions du visage, la bonhomie et les rides assumées. C’est une part d’intime qui vogue vers les rives de l’universalité, tandis qu’une part de nous-mêmes sombre dans la Méditerranée pour trop avoir espéré un havre de paix. Ariane Ascaride, petite-fille d’immigrés italiens, est plus que jamais touchante et juste, tant dans son interprétation que dans son petit mot de remerciements quand le Jury de la Mostra lui remet un prix d’interprétation bien mérité qu'elle dédie aux migrants morts en mer, « ceux qui vivent pour l'éternité au fond de la Méditerranée ».