Annette

Cannes 2021 : Compétition - Film d'ouverture

Voix de fête

Cinéaste rare au propre comme au figuré, Leos Carax, fils de la critique américaine Joan Dupont, s’est fait connaître au milieu des années 1980 avec un premier film perçu comme un véritable manifeste artistique, Boy Meets Girl, présenté à Cannes dans la section Perspectives du cinéma français où il a obtenu le prix de la jeunesse en 1984. Il y est revenu en compétition avec Pola X (1999) puis Holy Motors (2012) qui lui a valu un nouveau prix de la jeunesse… à l’âge de 51 ans. Une performance qui résume bien la spécificité de ce créateur atypique auquel Mauvais sang a valu deux prix au Festival de Berlin en 1987 et à qui l’on doit également Les amants du Pont-Neuf (1991). Annette, son premier film en langue anglaise, est une comédie musicale dont la bande originale a été composée par les Sparks et qui réunit deux stars mondiales habituées de la Croisette : Marion Cottillard, trophée Chopard de la révélation féminine 2004 et Oscar de la meilleure actrice pour La môme d’Olivier Dahan en 2008, et Adam Driver, lauréat de la Coupe Volpi à Venise en 2014 pour Hungry Hearts, de Saverio Costanzo, nommé à l’Oscar du meilleur second rôle masculin pour BlacKkKlansman de Spike Lee en 2010, puis à celui du meilleur acteur pour Marriage Story de Noah Baumbach en 2020. Cette comédie musicale qui brode autour des thèmes d’Une étoile est née et de Frankenstein s’attache à la passion d’une chanteuse d’opéra et d’un comique provocateur dont la fille possède une voix miraculeuse qui va la porter au sommet.

Lorsque la musique de Sparks et un livret des frères Ron et Russell Mael (alias Sparks) s’associent avec un cinéaste de la trempe de Leos Carax cela demeure intrigant. Et d’entrée on peut dire que le film d’ouverture du Festival de Cannes n’aura jamais tant mérité son aura.
So May We Start, pouvons-nous commencer? La chanson inaugurale d’Annette est programmatique. Elle n’introduit pas le récit, mais l’objet filmique, singulier, qui va suivre. La scène se déroule dans un studio d’enregistrement, Leos Carax est aux manettes derrière la console. Comme il apparaissait en 2012 dans les premières images d’Holy Motors, passant de l’intimité d’une chambre à l’immensité d’une salle de cinéma, il se pose en démiurge, du moins en chef d’orchestre. Cette histoire, c’est moi qui vais vous la raconter, semble-t-il affirmer. Et de lancer: «So may we start?»
Ann (Cotillard) et Henry (Driver) forment un couple glamour et improbable – «the Beauty and the Bastard», résume une émission people. Elle est une chanteuse lyrique très en vue tandis qu’il joue tous les soirs un spectacle de stand-up irrévérencieux donnant dans la provoc. Mais ils s’aiment d’un amour inconditionnel – «we love each other so much», chantent-ils à l’unisson dans une magnifique séquence démarrant dans une vallée dominant L.A. pour se poursuivre nuitamment à moto et s’achever dans le lit conjugal. Un L.A. de pacotille puisque pour l’essentiel le film fut tourné en studio à Cologne en Allemagne, seules quelques séquences tournées à L.A. Et le film est sublime, la mise en scène flamboyante nous transporte dans un univers baroque, à la fois cruel et bouleversant. Un Phantom of the Paradise matiné de Pinocchio.
Annette est un conte, et c’est encore plus vrai lorsqu’on découvre le personnage-titre: il s’agit de la fille que va avoir le couple, et à l’image c’est un jouet, un pantin… qui va donner au récit une dimension résolument tragique. Annette a un don: elle a hérité de sa mère une voix d’ange, que son père ne va pas hésiter à exploiter. Bienvenue à Baby Annette, star des réseaux sociaux! Mieux vaut ne pas en dire plus, tant le film, tel un bateau ivre, va alors multiplier les virages narratifs, afin de constamment déjouer les attentes.
On ressort de ce film ébloui de tant de magie, de musique, d’émotions et je vous conseille de rester jusqu’au bout du très long générique, sinon si vous avez aimé le film dites-le à vos amis et si vous n’avez pas d’amis dites-le à un inconnu.