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Dès les premières images très sonores des Bruits de Recife, on est frappé par l'intelligence de la mise en scène de Kleber Mendoça Filho. Sur un roulement incessant de batucada – ces percussions traditionnelles qui jouent des rythmes de samba – défilent des photos d'archives en noir et blanc évoquant la vie des plantations autour de Recife, cité balnéaire située dans le centre équatorial du Brésil, et à sa pointe orientale. Puis sans transition, un plan séquence étourdissant nous plonge dans la cité d'aujourd'hui, la caméra suivant une jeune fille en patins à roulettes évoluant à l'intérieur d'un ensemble résidentiel ultra-moderne et plutôt chic, jusqu'à son arrivée dans une cour de jeux pour enfants encerclée par de hauts grillages. Toute la force du cinéma est là : sans paroles, par le seul pouvoir des images et du montage, le film raconte la transformation architecturale de Recife, devenue une ville de grandes barres d'immeubles ultra-modernes et froids où les bruits semblent être devenus les intrus d'un monde où chacun veut pouvoir vivre dans sa bulle protégée de l'extérieur. Et en même temps l'enfermement des esclaves d'autrefois – ou plus tard des ouvriers agricoles surexploités – répond à l'enfermement des classes sociales isolées les unes des autres dans la société brésilienne.
Les Bruits de Recife nous fait croiser différents personnages : João, l'agent immobilier séducteur qui se réveille aux côtés de Sofia, une nouvelle conquête, sous le regard bienveillant de la vieille bonne de la maison ; Bia, jeune mère de famille insomniaque et légèrement névrosée, qui ne supporte plus les aboiements des chiens du voisin, qui compense son ennui par la consommation d'herbe et par d'étranges rituels (faire aspirer sa fumée par son aspirateur ou profiter du mode essorage de sa machine à laver à des fins sexuelles…) ; ou encore Dinho, le jeune cousin de João, qui est tombé dans la petite délinquance, plus pour remplir le vide de sa vie que par réelle nécessité économique.
Les Bruits de Recife montre remarquablement, à travers un scénario et une mise en scène d'une grande originalité, les travers de cette classe moyenne supérieure qui prend une place de plus en plus importante dans un Brésil en pleine explosion économique. Une classe moyenne qui traite avec une gentille condescendance ceux qui la servent, ce que montre subtilement Kleber Mendonça Filho dans plusieurs scènes, une classe séparée du reste de la ville par des murs, des grillages, des voitures climatisées et silencieuses dans lesquelles elle se déplace (comme dans cette scène où Bia écrase le ballon d'un petit garçon sans même s'en rendre compte), des systèmes de vidéo-surveillance et même des sociétés de sécurité, chacun semblant être sujet à une grande paranoïa galopante. Même les enfants semblent en souffrir, comme Francisca, la fille de Bia, qui rêve la nuit que des hordes de gens envahissent sa propriété, résurgence du temps des révoltes d'esclaves. Car malgré toutes les frontières, toutes les barrières omniprésentes dans le film – qui sait installer subtilement une atmosphère étouffante –, le passé – celui des plantations et des esclaves – est toujours présent. Et la violence qui va avec est là également, latente. Avec un brio impressionnant, le réalisateur sait la faire sourdre tout au long du film, nous laissant dans l'attente de son explosion imminente.