En quelques années, Aurel est devenu un dessinateur incontournable. Cela n’aura pas échappé aux lecteurs du Canard Enchaîné, du Monde (Diplomatique ou pas), de Politis… ni aux passionnés de BD. Le sujet de son premier et splendide long-métrage, plus encore qu’un récit historique, est un vibrant hommage et la rencontre en filigrane avec un autre dessinateur : Josep Bartoli. Mais aussi la rencontre véritable d’un petit-fils avec son grand-père : un gendarme tellement représentatif de ces héros ordinaires restés dans l’ombre de la Grande Histoire, celle qu’écrivent les vainqueurs dans des manuels qui ont fâcheusement tendance à oublier ou minimiser ses parties honteuses ou peu glorieuses. Quand on parle de la période 39/45, on évoque rarement La Retirada, et pourtant : elle parvint jusques sur nos plages et dans nos campagnes, où l’on parqua dans des camps qu’on peut dire de concentration les résistants républicains espagnols venus chercher refuge chez nous…
Février 1939. Des hommes marchent dans la neige, seuls ou en petites bandes, émaciés, affamés, parfois blessés. La traversée des Pyrénées est rude en plein hiver. Pas un seul oiseau ne chante dans les arbres secs et creux… Ils seront des centaines, ils seront des milliers à marcher ainsi jusqu’en France. Là où ils croyaient trouver un havre pour reprendre des forces, ils ne trouveront que désolation. Parmi eux, un bel homme au regard expressif et au nez aquilin. Il s’appelle Josep Bartolí et ne rêve que de rejoindre Maria, son épouse, qui porte son enfant. Comment ce dessinateur de presse de renom, ce résistant de la première heure, aurait-il pu imaginer qu’après avoir combattu et fui le franquisme, il serait parqué à Argelès-sur-mer, insulté et traité comme un malfrat ? Aveuglément les gardiens de camp suivent la tendance du moment, reléguant leur cerveau au vestiaire, se laissant aller à leurs plus bas instincts, cédant à cet effet de bande qui peut rendre très con le plus pondéré des bonshommes. Pourtant une nouvelle recrue fera modestement un pas de côté. Il faut un vrai courage pour sortir du rang, ne pas céder au conformisme ambiant, au courant de pensée dominant. Un courage qu’on n’aurait pas su déceler sur la bouille joviale de notre bon gendarme consciencieux, un courage que lui-même ne revendiquera jamais. Progressivement, malgré son respect des règles et des ordres, il éprouve un respect admiratif, solidaire pour ces détenus supposés être la lie de l’humanité. En particulier pour Josep… C’est ainsi qu’une amitié mutuelle va naître entre les deux hommes, mettant à mal les conceptions simplistes du sens du devoir. Obéir pour honorer sa fonction, certes, mais que faire quand cela va à l’encontre de ce pourquoi on s’est engagé ? Comme, par exemple, la défense de la veuve et de l’orphelin, ou les valeurs de la république ? Découvrir que ces « rouges » contre lesquelles se déchaîne la France de Daladier sont en fait de véritables justes, des humains avant tout, va être un sacré choc…
L’utilisation des couleurs est subtile et mouvante : réduites à la portion congrue – comme la ration des prisonniers – lors des séquences dans les camps, elles se font exubérantes lors de la rencontre avec Frida Kahlo… Tout une symbolique, tout un langage, qui s’émancipe des mots, les sublime, dans le souci de ne pas se substituer à Josep, de ne surtout pas le trahir…
Pour aborder ce vaste sujet, on passe par la tête d’un adolescent contemporain, aimant les tags et le rap, un peu saoulé à l’idée de venir visiter son grand-père, ancien gendarme. Il ne sait pas encore à quel point il va être passionné par ce que son aïeul va lui raconter. Avant que s’anime à l’écran ce magnifique Josep, le spectateur est un peu comme cet ado : il ne sait pas encore…