Bienvenue dans le monde d’après. D’après la fin du monde. Nous sommes en 2086 ; ravagée par les pandémies, les guerres et les catastrophes écologiques, l’Humanité n’est plus que l’ombre d’elle-même, et la civilisation un souvenir lointain. Errant dans les ruines d’une Europe peuplée de fantômes, Kal, jeune réfugié africain, quitte les ruines d’un Londres affamé avec comme seule boussole les mystérieux graffitis qu’il déchiffre sur sa route, et qui l’invitent à répondre à « L’appel du Sud «, l’ultime destination vers laquelle la vie serait encore possible. Il marche donc inlassablement, laissant derrière lui les décombres d’un Paris méconnaissable, jusqu’à ce que ses pas le mènent à Bologne, où il tombe sur un trésor et un fardeau : le premier, ce sont les dernières bobines de film de la cinémathèque de Bologne, le second, c’est leur gardien, un ermite hirsute et à moitié fou surnommé Shakespeare. De cette rencontre improbable entre deux survivants d’un monde agonisant vont naître l’amorce d’une amitié et l’étincelle d’une idée aussi grandiose que dérisoire : construire une caméra afin de fixer sur pellicule les derniers moments de l’Humanité.
Film d’anticipation, drame post-apocalyptique, fable philosophique, Last words est tout cela à la fois, et bien davantage. C’est aussi, à bien des égards, une énigme. Qu’un tel film, dont le scénario co-écrit avec l’auteur du roman original fut rédigé bien avant la crise mondiale que nous traversons aujourd’hui, parvienne à ce moment précis de notre histoire tient quasiment du miracle. Bien sûr il n’est pas le premier à emprunter ces chemins dystopiques pour mettre en garde nos consciences assoupies devant le danger bien réel de notre extinction (une thématique qui fit les beaux jours des séries B des années 70 avant que des auteurs plus ambitieux ne s’en emparent, songez aux récents La Route de John Hillcoat d’après le roman de Cormac Mc Carthy, ou plus près de nous encore Light of my life de Casey Affleck), mais c’est par son message, paradoxalement optimiste en dépit de tout, qu’il se distingue.
En effet, si le film ne prend pas de gants et acte dès son ouverture l’effondrement d’une civilisation qui courait à sa perte, Nossiter refuse de renoncer à l’Humanité, en ce qu’elle a créé de meilleur : l’art, l’amitié et la culture (dans tous les sens du terme). Ce n’est pas un hasard s’il fixe son intrigue dans deux lieux hautement symboliques (Italie et Grèce) de la pérennité de cultures qui ont survécu à leur disparition ; pas un hasard non plus si Kal et Shakespeare utilisent comme support de leur message le cinéma argentique, qui donne l’occasion à Nossiter de déclarer son amour du cinéma et des films à l’ancienne, celui d’avant les illusions de la révolution numérique, et qui ne disparaîtra pas tant qu’il y aura des fous pour les conserver et des rêveurs pour le regarder. Pas un hasard enfin si le héros du film, Kal, est africain, symbole vivant de l’endurance humaine face à l’adversité, incarné par le jeune Kalipha Touray, bien réel réfugié gambien dont l’impavide présence illumine chaque scène par la bienveillance qu’il dégage.
Film tellurique et âpre comme un désert de pierre, mais magnifiant les sentiments humains les plus nobles, Last words est un testament à ce que l’humanité a produit de meilleur : un poème, une chanson, un extrait de film, une graine cultivée avec patience et qui éclot enfin, un enfant à naître. Autant de promesses de lendemains, pour conjurer le sort contraire, afin que ces paroles, ces mots, appris par d’autres, ne soient pas les derniers.