Comme toujours chez Allen, il est difficile de séparer l’auteur du personnage qu’il nous propose de suivre. Même si le Rifkin du titre n’est pas cinéaste, c’est malgré tout un conteur d’histoires, en l’occurrence ici un éternel futur romancier de presque 80 ans, frustré et improductif, mais surtout ancien prof de cinéma à Paris, marié à une femme évidemment plus jeune que lui. Et bien sûr elle, elle en pince à mort pour un cinéaste français, évidemment plus jeune qu’elle, encensé par la critique, qui d’ailleurs la drague avec un naturel tout à fait français et dont elle est l’attachée de presse au festival du film de San Sebastian, où le couple au bord de la rupture se rend avec plaisir ou presque.
Arrivé là, Allen / Rifkin, qui relate son voyage cinéphile à son psy, se retrouve plongé dans ses années de jeunesse où il hantait la cinémathèque, racontant les rêves qui l’ont hanté durant son étrange séjour en Espagne, lui faisant mélanger ce qu’il vit avec les univers en noir et blanc de Truffaut, Godard, Fellini, ou encore Bergman, qui offre à Christopher Waltz, dans une séquence absurde et hilarante, l’occasion d’incarner la mort dans la fameuse scène de la partie d’échecs, ou encore Orson Welles dans une scène de dîner passablement cauchemardesque pour notre pitoyable narrateur mais pour notre plus grand plaisir, même pas coupable, de cinéphiles goguenards. Le temps qui passe, les doutes qui l’accompagnent, le désir qui s’émousse pour la femme que l’on aime, bien qu’on sache que le feu s’éteint inexorablement… Rifkin va rétrospectivement, face à son thérapeute, livrer sa version de son festival de San Sebastian…
Il y sera question de désir, de cinéma et de cinéphilie, de box-office et de critiques, de demi-mensonges et de vérités pas toujours agréables à entendre, de maladies imaginaires, de maltraitance subie par les femmes mariées à des artistes, de séparation et de solitude.
C’est un peu désespéré et quasi testamentaire, malgré le ton faussement guilleret et positif qu’on peut partager entre cinéphiles pendant un festival.
Allen balance une sorte de droit de réponse à ce qu’il a traversé ces dernières années. L’air de nous dire, ou de dire à la planète cinéma d’aujourd’hui, si prompte à s’offusquer de la première rumeur venue sur la moralité et le comportement présumé douteux d’un réalisateur, acteur, producteur, en bref d’un mâle blanc hétérosexuel de plus de trente ans, ce qu’il pense de tout ça en tant qu’« accusé ». Nous disant en substance qu’il n’est qu’un homme avec ses travers, ses obsessions, ses manquements, que le monde n’est pas noir et blanc comme peut l’être le plus beau des cinémas et que nous sommes tous amenés à commettre des erreurs de jugement et à ne pas être immanquablement sans reproche. Se dédouanant peut-être en racontant l’histoire de cette femme brillante mais malheureuse de vivre avec un mari artiste, volage et orageux à qui elle pardonne beaucoup, beaucoup trop. Mais Woody Allen ne serait pas ce réalisateur que nous avons tant aimé s’il ne le faisait pas avec autant de talent et avec cet humour juif new-yorkais dont il reste un des meilleurs ambassadeurs, c’est à dire avec une certaine franchise, une forte propension à l’auto dérision et une indéniable douleur qui rend ce Rifkin’s festival plus qu’attachant.