Le film d'espionnage, tout comme le roman du même nom, est un genre à part entière et rend compte depuis des décennies des troubles et bouleversements des relations internationales, témoin fictionnel de réalités géopolitique souvent très complexes. Maintes fois adapté au cinéma, le maître absolu en la matière est John Le Carré, romancier britannique que l'on ne présente plus et auquel il est d'usage de se référer pour mesurer le degré d'efficacité d'une œuvre qui a pour personnages principaux des espions. Avec un scénario adapté du roman The English teacher, best-seller écrit par l’ancien agent de renseignement israélien Yiftach Reicher Atir – qui a tiré la matière de son récit de sa propre expérience –, ainsi que de témoignages d’agentes du Mossad, The Operative coche toutes les cases pour se placer au niveau des grandes réussites du genre. Le livre a par ailleurs été fortement censuré en Israël au moment de sa sortie, et on imagine aisément pourquoi en voyant le film, car le récit dénonce sans concession la mécanique glaciale du renseignement, y compris lorsqu'il est pratiqué par le Mossad israélien, qui use et manipule sans état d'âme ses agents, et n'hésite pas un instant à les abandonner, voire à les éliminer. Nous sommes ici très loin d'une vision romantique des services secrets appréhendés comme une belle et grande famille unie pour une même cause avec une approche manichéenne des conflits (en gros les vilains terroristes d'un côté et les vaillants soldats du bien de l'autre) et cet angle d'approche complexe tire indéniablement le film vers le haut.
À la fin des années 2000, alors que le monde craint que l’Iran ne se dote de l’arme atomique, Rachel, ex-agente du Mossad infiltrée à Téhéran, disparaît sans laisser de trace. Thomas, son référent de mission, doit la retrouver entre Orient et Occident, car Rachel doit revenir à tout prix sous le contrôle de l’organisation. Mais Rachel, avec sa personnalité complexe, son parcours atypique, n'est pas un agent facile à cerner, Thomas, qui la suit depuis ses débuts, le sait bien…
De Téhéran à Leipzig en passant par Londres et Jérusalem, The Operative décrit avec une exactitude remarquable le métier d’espion tel qu’il se pratique aujourd’hui, tout en évoquant les conséquences émotionnelles connexes à une existence secrète de long terme. Comment assumer au quotidien une vie où tout repose sur le mensonge ? Quelle structure mentale, quelle histoire, quel passé, quelles blessures intimes peuvent amener un individu à choisir cette vie-là de mise en danger et de renoncement à la vérité, à sa vérité ? Comment nouer des relations authentiques quand chaque parcelle de sa propre biographie n'est que du vent ?
Portée de bout en bout par son personnage principal (Diane Kruger, remarquable), le film s'attache finalement bien plus aux relations complexes entre les individus mêlés de manière consciente ou non à cette mission qu'à ses enjeux politiques. Les détails de l'intrigue deviennent finalement presque secondaire et s'effacent pour laisser voir toute l’ambiguïté qui mine les interactions entre les protagonistes. L'espionne et son officier traitant, leur lien explosif de confiance et de dépendance. L'espionne et le milieu qu'elle infiltre, avec cette part grisante du jeu de rôle mais aussi l'angoisse permanente d'être démasquée. Enfin, les enjeux de domination impliquant un pouvoir de vie et de mort entre les chefs qui dirigent les opérations depuis leurs bureaux feutrés et les pions qu'ils déplacent sur un terrain miné. Diaboliquement efficace.