Nous sommes dans la région du Pernambuco, autrement nommée l’Agreste, dans le Nordeste brésilien. Autrefois agricole, le village de Toritama est devenu « la capitale du jean », comme nous l’annonce de toutes ses dents le couple au sourire ultrabright qui accueille le visiteur. L’expression amuse, particulièrement inadaptée pour désigner ces ruelles de terre battue, ces habitations mal achevées qui en semblent en dire long sur l’état financier de la population, mais avant tout elle intrigue : comment tirer gloriole de ces lieux miteux ? Ça, une « capitale » ? Pourtant, plus aucun doute ne subsistera dès les premiers pas dans ce royaume inconnu, celui de « l’or bleu » comme le nomment les habitants. Ici le jean règne en maître absolu, à tous les coins de rue, dans chaque masure, suintant de chaque pas de porte, de chaque pore… Un déluge de toile, du fil comme s’il en pleuvait, des boutonnières comme s’il en poussait… D’un revers de pantalon, le temps a balayé les vestiges du passé, l’ambiance tranquille qui planait par-dessus les toits et les champs. Bienvenue dans la réalité d’un nouveau monde où l’on peut enfin se gorger à la corne d’abondance du capitalisme.
En plongeant dans le quotidien de ces esclaves consentants des temps modernes, le réalisateur va découvrir leur conception des choses, toute une philosophie de vie. Si l’on travaille non-stop ici, et pour quelques centimes, on se vante néanmoins de le faire à son rythme, sans patron sur le dos. Mais peut-être est-ce la force du capitalisme de rendre désormais la domination invisible et aussi inattaquable qu’un monstre sans tête. Loin de tout misérabilisme, il se dégage une ambiance chaleureuse de ce documentaire peuplé de personnages touchants et drôles, qui s’activent dans des ateliers où nul ne cesse de coudre, même pour parler… On suivra avec une sympathie mêlée d’incrédulité les pérégrinations des villageois, jusqu’à assister à un étrange rituel qui se reproduit chaque année et qui éclairera le titre du film…