Une vie secrète

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Espagne, 1936. Higinio, partisan républicain, voit sa vie menacée par l’arrivée des troupes franquistes. Avec l’aide de sa femme Rosa, il décide de se cacher dans leur propre maison. La crainte des représailles et l’amour qu’ils éprouvent l’un pour l’autre condamnent le couple à la captivité.

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Le titre en espagnol annonce La Trinchera infinita, autrement dit « La Tranchée infinie »… De fait, de véritable tranchée, on n’en verra pas. S’il y en a une, elle est symbolique. Plus qu’une histoire de guerre, c’est avant tout une incroyable et très kafkaïenne histoire d’amour inconditionnel. Elle se passe lors d’une des périodes les plus perturbées et troublantes de l’histoire espagnole, qui laissera longtemps un goût de crasse et de dégoût dans la bouche de tout un peuple.
Nous sommes en 1936, quelque part dans un de ces villages d’Andalousie au confort minimal. Si les Républicains ont remporté les élections en février, dans un climat de violence, cet été-là, une poignée de généraux nationalistes, dont un certain Franco, vont renverser la situation. On connait la suite… Mais à cet instant précis, nul ne sait vers quoi tout va basculer, ni quel camp l’emportera. Tous se guettent en chiens de faïence, s’épient. Qui est neutre ? Qui cache ses appartenances à un camp ou à l’autre ? Il y a ceux qui n’ont pas tu leur choix, sont passés ouvertement à l’action comme trucider quelques politiciens ou quelques curés. Mais surtout, comme toujours, il y a la grande masse des suiveurs, ceux qui, sans choisir complètement, se sont laissés entraîner dans le mouvement… De quelle trempe fut Higinio ? Toujours est-il qu’ayant assisté à des réunions tenues par les Républicains, il est identifié comme étant l’un d’eux, qu’il ait réellement agi ou non… Certaines rancœurs et certains voisins ont la dent dure, comme on le verra… D’ailleurs, encore récemment, le déménagement de la sépulture de Franco a suscité des réactions plus vives qu’on aurait pu l’imaginer, après tout ce temps… Traces indélébiles de ces longues journées passées à épier son voisin, toujours prêt à la délation, pour sauver sa peau ou par conviction. Au fond des regards ibériques flottent encore les voiles d’une conscience mal lavée, des déchirements irréparables…
Il est si tôt ce matin-là que même les coqs doivent ronfler. Dans la lumière blafarde du petit jour, le village assoupi ressemble à un gisant aux pieds souillés par la terre battue de ses ruelles rudimentaires. Étrange métissage d’ordre et de désolation dans lequel erre un chien solitaire. D’emblée une forme de malaise rampe : ce calme, trop envahissant pour être honnête, nous fait présager une future tempête. Peut-être est-ce le même pressentiment diffus qui monte dans les yeux de Rosa alors qu’elle observe amoureusement son mari profondément endormi dans leur étroit lit-cage. Elle n’aura guère plus le temps de réagir que lui quand les sbires franquistes frapperont violemment à leur porte… Higinio pourra tout juste se fondre dans l’ombre, puis partir dans une cavale effrénée, infernale… avant de revenir. Avec l’aide et l’amour de sa femme, il va décider de se cacher dans leur propre maison. Pour combien de temps ?
En quelques minutes tendues, rêches, durant lesquelles la caméra colle à la peau du personnage, s’insinue dans ses pensées, ses sentiments, sans voix off, sans effets superfétatoires, le portrait d’Higinio est dressé, déroutant, complexe… Ce n’est que le début d’une longue traversée qui va nous emmener dans ses paysages intérieurs. Les trois réalisateurs réussissent le pari de nous donner à ressentir presque dans nos chairs le quotidien de l’un de ceux que l’on baptisera les « taupes ». Que l’on découvre ces épisodes dramatiques de l’histoire espagnole ou qu’on les connaisse déjà, ce huis-clos passionnant nous conduit au plus profond de l’humanité, nous pousse à réfléchir au sens du courage, nous empêche aussi de complètement condamner ces planqués qui le furent avec une compagne implacable : la peur. Tellement palpable dans ce récit qu’elle en devient une protagoniste essentielle… et glaçante.