Rouge

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Nour vient d’être embauchée comme infirmière dans l’usine chimique où travaille son père, délégué syndical et pivot de l’entreprise depuis toujours. Alors que l’usine est en plein contrôle sanitaire, une journaliste mène l’enquête sur la gestion des déchets. Les deux jeunes femmes vont peu à peu découvrir que cette usine, pilier de l’économie locale, cache bien des secrets. Mensonges sur les rejets polluants, dossiers médicaux trafiqués ou accidents dissimulés… Nour va devoir choisir : se taire ou trahir son père pour faire éclater la vérité.

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Peut-être vous souvenez-vous du réjouissant premier premier film de Farid Bentoumi, Good luck Algeria qui retraçait l’histoire cocasse d’un entrepreneur contraint de devenir champion de ski pour sauver son usine ? Pour son second long métrage, le jeune cinéaste se lance dans un tout autre registre. Rouge est un thriller haletant, un pamphlet écologique percutant, un passionnant portrait au vitriol de notre époque, de ses compromissions… à travers la vie de gens qu’on dit ordinaires mais qui ne le sont pas tant que ça…
L’humaine condition… Combien sa fragilité transparaît quand elle repose en peu de mains, en l’occurrence celles d’une jeune infirmière débordée, trop sollicitée… Nour (Zita Hanrot, tendre et lumineuse) est l’antithèse d’une brute épaisse. Il suffit d’un regard pour la deviner consciencieuse, passionnée par son métier, émue par ses patients. Et pourtant ce jour-là, sa carrière va basculer le temps d’un battement de cil. Son destin restera suspendu aux décisions trop lentes d’une administration aveugle, assoiffée de trouver des fusibles éjectables et donc coupables pour fuir ses propres responsabilités. Le manque de moyen criant de notre système de santé semble tout entier contenu dans la courte scène efficace qui introduit l’intrigue, et dont on ressortira presque aussi hébétés que Nour.
La voilà mise à pied, mise entre parenthèses, tout comme sa vocation… Obligée de revenir dans le giron patriarcal. Rompue la distance qu’elle avait mise entre elle et la ville provinciale de son enfance, surplombée par les montagnes verdoyantes, tout comme son économie est surplombée par l’usine locale, puissance incontournable qui permet à la région de prospérer, aux ouvriers de vivoter et aux politiques de politiquer. Ici, depuis des décennies, nul ne remet en question la manne autour de laquelle tout gravite, qui emploie la majeure partie des hommes du coin, dont le père de Nour. Ce dernier, Slimane (magistral Sami Bouajila), sera si fier de remettre le pied à l’étrier à sa fille, de lui trouver un poste d’infirmière au sein même de « son » usine où il est apprécié autant par ses collègues que par le patronat (incarné par Olivier Gourmet) en tant que bon ouvrier et délégué syndical. Et c’est là que l’aventure intime va basculer dans un propos plus universel, plus décapant. Les nouvelles fonctions de Nour, qui auraient pu – qui auraient dû – constituer une bonne planque, un long fleuve tranquille, vont la lancer dans une course cauchemardesque à la recherche de la vérité. Trop consciencieuse et impliquée pour être diplomate, la jeune femme aura tôt fait de soulever quelques lièvres dérangeants dans les dossiers à l’abandon de son prédécesseur et se heurtera à l’omerta qui veut qu’un chien ne mord jamais la main qui le nourrit… Peut-être Nour, prise en tenaille entre conscience professionnelle et reconnaissance envers son père, aurait-elle joué le jeu elle aussi, sans la mobilisation de quelques activistes écologistes, sans surtout cette journaliste qui enquête avec obstination sur les boues, d’un rouge ocre magnifique, rejetées par l’usine. Ne seraient-elles pas dangereusement toxiques ?
Le film est assez passionnant, investi par des acteurs formidables qui rendent les personnages crédibles, touchants, complexes. Sans doute les origines sociales du réalisateur, grandi dans un milieu populaire, ouvrier, contribuent-elles à la justesse de ton. Il évite l’écueil du manichéisme, de la condamnation facile. Il connait les méandres, les contradictions, les incohérences d’un système où personne n’est tout noir, ni tout blanc… mais où tous finiront par voir rouge au sens propre comme au sens figuré.