Teddy, c’est qui ? D’abord c’est une dégaine, un peu nonchalante, un peu goguenarde, du genre à ricaner pendant la Marseillaise un 14 Juillet ; ensuite c’est une bouille, presque ronde, encore juvénile, cheveux ras, regard en biais caché derrière des cul de bouteilles modèle Sécurité Sociale 1974, un sourire narquois aux lèvres. Une silhouette à peine sortie de l’adolescence, pas tout à fait dégrossie, et qui n’a pas encore trouvé le chemin de l'âge adulte.
Teddy, pourtant, n’est plus un enfant. A 19 ans, l’école n’est déjà plus qu’un lointain souvenir. Il travaille dans l’institut de massage de ce village des Pyrénnées autour duquel les moutons paissent et les loups rôdent, et veille au bien-être de ce qui lui reste de famille, en particulier son oncle Pépin, l’idiot du village. Tout le contraire de sa petite amie Rebecca, issue d’une famille aisée, qui passe le bac cette année et est promise à un avenir loin d’ici. Teddy sait que ce ne sont pas ses rêves immatures de pavillon perdu dans les montagnes qui vont la retenir. Alors il se prépare à ce dernier été qui arrive, encaisse sans mot dire les humiliations, qu’elles viennent des copains de classe de Rebecca ou des adultes qui cornaquent sa vie… jusqu’à cette nuit de pleine lune où il est attaqué par un loup. Et Teddy, d’ours en peluche, va se métamorphoser et commencer à rendre les coups.
Teddy, c’est le second film des frêres Boukherma, découverts en 2017 avec le fantasqueWilly 1er, dont on retrouve ici leur gôut pour les marginaux, les laissés-pour-compte et l’empathie qu’ils portent à leurs personnages, mais cette-fois ci, en plus de l’humour dont ils faisaient déjà preuve pour désamorcer les aspects les plus dramatiques de leurs historiettes, les voilà qui s’essaient au film de genre, et pas des plus faciles à réussir : le fantastique. Un peu comme si les frères Dardenne avaient signé pour un remake du Loup-garou de Londres de John Landis. Et bien pourtant, miracle, la sauce prend ! D’abord parce que les Boukherma ont eu l’intelligence de se démarquer de leurs modèles hollywoodiens pour ancrer leur film dans un monde qu’ils connaissent par cœur et savent décrire dans ses moindres nuances : les communautés rurales du Lot-et-Garonne, où ils sont nés et ont vécu leur enfance. Tout sonne juste dans leur portrait d’un monde relégué, dont les plus fortunés par le destin (ou leurs parents) rêvent de s’extraire, et où les plus modestes dépérissent et s’étiolent. Justes aussi la colère, la frustration, la honte sociale qu’éprouve Teddy face à ceux qui lui renvoient son image de « cassos ». Limpide enfin la métaphore que les réalisateurs filent au gré des mutations physiques et psychiques de Teddy, qui passe graduellement de proie à prédateur, de victime à bourreau.
Teddy, enfin, c’est un personnage campé avec un naturel surnaturel par l’incroyable Anthony Bajon, (révélé dans La Prière), épaulé par une galerie d’acteurs, pro comme l’hilarante Noémie Lvovsky en cougar généreuse, ou amateurs comme l’émouvant Ludovic Torrent dans le rôle de Pépin. Tour à tour drame social, portrait d’une jeunesse perdue et film de monstre à l’ancienne, Teddy est le nouveau jalon posé par cette nouvelle génération de cinéastes réconciliant films d’auteurs et films de genre, qui révère Truffaut et Varda tout en jouant à GTA. Ça nous promet de beaux films à venir, le prochain des frères Boukherma est déjà en route : il s’appelle L’Année du requin, et s’annonce comme une sorte de remake des Dents de la mer dans le bassin d’Arcachon. De quoi hurler (de joie) à la lune, non ?