SEMAINE DE LA CRITIQUE 2016
Épopées intérieures
Après Vous êtes tous des capitaines présenté à la Quinzaine des réalisateurs en 2010, Olivier Laxe voulait à nouveau tourner au Maroc. “J’ai habité dans une palmeraie du sud pendant ces années. J’ai arpenté la région, les montagnes de l’Atlas et le désert. C’était aussi le projet du film que d’avoir un prétexte pour marcher. Ce fut un long voyage, à plusieurs niveaux.” Pour écrire son scénario, il va s’inspirer de récits issus de la tradition soufi. “Les ordres européens de chevalerie ont trouvé leur inspiration dans les futuwwah islamiques. Et on sait que les origines du roman de chevalerie remontent à l’Inde et la Perse. La quête du Graal est un archétype symbolisant la quête de l’être humain en recherche d’un sens d’éternité. Mimosas fait partie de cette tradition. ”Outre des financements espagnols, Mimosas a été soutenu par le Centre du cinéma marocain. “C’est la première fois qu’ils aident un film réalisé par un étranger et c’est un signe encourageant. Je l’ai pris comme une véritable permission.” Le tournage a été difficile à mettre en œuvre, dans des décors Parfois accessibles uniquement à dos de mulet. “Le deuxième jour, on n’a rien pu tourner car les camions ont été bloqués par un pont que la production locale n’avait pas pensé à mesurer. On n’avait que cinq semaines de tournage pour un scénario qui en nécessitait sept à huit. Je pense que j’ai cherché inconsciemment à avoir des problèmes pour faire en sorte que le film me dépasse. Je pense que le cinéma est un art de la soumission. On essaie parfois de tellement prévoir nos films qu’à la fin ils se ressemblent tous.”
Les versets coraniques
C’est peut-être la majestueuse chaîne montagneuse du Haut Atlas marocain le véritable personnage central de ce film énigmatique et troublant. Du moins les hauts sommets fournissent aux images leur caractère hypnotique, leur splendeur éclatante et âpre à la fois. Les originalités de son relief ponctuent même les nuances du récit, lorsque la charge minérale écrasante laisse soudain place à la quiétude d’un immense lac ou aux recoins ombragés d’une caverne. Traversée pieuse et épique, le film suit un groupe de caravaniers, bientôt réduit à trois personnages, qui tentent de franchir les montagnes pour emmener leur chef spirituel mourant dans sa dernière demeure, de l’autre côté du versant. A l’image du Haut Atlas, qui fait figure de puissante métaphore, Mimosas est une œuvre qui impose sa présence monolithique, aussi fascinante que difficile à appréhender. Il s’échappe de ces images implacables une étonnante sensation, comme si quelque chose là-dedans nous préexistait et durerait bien après la projection encore. Une vérité indiscutable bien qu’impossible à saisir, cachée au creux de ce décor absolu et de la limpidité de ses images.
Il semble que l’histoire se situe dans des temps anciens. Ils sont vêtus de burnous traditionnels berbères et n’ont que des chevaux pour se déplacer. Leur cheikh sent sa fin proche et décide de rejoindre la ville de Sijilmassa au plus vite, en empruntant le trajet périlleux des montagnes. Au sein de la caravane, deux personnages de gredins, Ahmed et Saïd. « Ce n’est pas un chemin pour les chevaux » protestent certains. Le cheikh n’aura même pas à s’en défendre. Il a parlé et dans le film d’Olivier Laxe, la croyance est reine.
Parallèlement, dans une ville, de nos jours, un étrange convoi se prépare. Certains sont appelés à le rejoindre. Parmi eux, se trouve Shakib. Il a été choisi pour mener a bien une mission. L’obscur inconnu qui la lui confie pourrait bien être une divinité ou un diable : qui saura le dire ? « Va aider une caravane qui se déplace dans les montagnes », lui ordonne-t-il. « Un cheikh doit rentrer chez lui avant de mourir, tu vas l’accompagner. »
Dans une curieuse fusion des temporalités, Shakib rejoint la caravane et les ennuis ne tardent pas à débouler. La montagne dévoile son inhospitalité et les voyageurs sont trompés par les caprices de volontés supérieures. Que faire alors ? Certains veulent rebrousser chemin. Pour Ahmed, Saïd et Shakib, il faut croire, ne jamais s’arrêter de croire.
C’est peu dire que les temps sont crispés pour parler des religions. Le film d’Olivier Laxe en prend le parfait contrepied et traite d’une croyance dépouillée de ses impasses contemporaines. Car c’est bien la question de la foi qui se trouve au centre de cette œuvre opaque, dans laquelle le spectateur est volontairement placé face au doute, de la même manière que les pèlerins berbères sont mis à l’épreuve de la lassitude et de l’attente de la révélation. Le personnage de Shakib, drôle de loustic au physique pur et au regard fou, en est la synthèse : naïf ou illuminé, son élan mystique emmène tout sur son passage. Quelque part entre Cervantès et Pasolini, Mimosas crie haut sa foi dans un cinéma radical et envoûtant.