Vous aurez traduit le titre par vous-même, il y est question d’une famille parfaite. Ironie ? La perfection étant rarement de ce monde, on devine d’emblée un hic… Et pourtant… En avançant dans le récit, une fois le premier choc passé, on y découvrira plus d’interrogations tendres que de réponses tranchées, assaisonnées d’une bonne rasade d’humour, ce qui ne gâche rien. Malou Reymann s’est inspirée pour son premier film de sa propre histoire, pleinement assumée, et se place du point de vue de l’enfance qui observe ces drôles d’adultes s’efforçant d’endosser le rôle de « parents » avec toutes les obligations et tous les clichés qui sont censés aller avec. Une panoplie parfois inconfortable à porter, pour qui se cherche ou n’est pas complètement dans les clous…
À quel moment de l’existence est-on plus sensible aux regards d’autrui qu’à la pré-adolescence ? Cet âge inquiétant où règne un faux calme avant le tsunami des transformations, qui se feront à votre corps défendant, sans pouvoir ni anticiper, ni maîtriser ce qu’il va devenir. Drôle de pochette surprise dont on se serait bien passé. Il ne reste qu’à essayer de s’habituer aux protubérances qui poussent, supposées attirer le regard des garçons, mais bien peu ergonomiques quand il s’agit de jouer au foot. Le foot, c’est le grand plaisir d’Emma, blondinette plus du genre garçon manqué que fillette à petite robe et souliers vernis. À bas le rose bonbon symbole de délicatesse, de petite chose fragile, sage comme une image ! Emma n’est pas du style à sourire docile, comme on le verra. Pourtant tout va bien dans sa vie tranquille de gamine de la classe moyenne, élevée au lait de la tendresse humaine de ses deux parents. Ou plutôt tout allait bien… jusqu’à ce jour fatidique, celui où tout son train de vie, et celui de sa sœur, déraille entre deux bouchées de pizza. Il faut dire que leur mère, secouée par sa colère de femme abandonnée, son chagrin rentré, est bien incapable de modérer ses effets et n’y va pas par quatre chemins. Le glas, qui vient enterrer leur vie de famille harmonieuse, semble sonner par deux fois : « On va divorcer… » silence « … parce que Papa veut devenir une femme. »… Une perte de repères difficile à digérer en quelques secondes, de quoi vous faire détester à vie la pizza ! Pas un regard au père, Thomas, à la mine contrite, catastrophé par la brutalité de l’annonce, privé d’avoir pu préparer ses filles avec douceur… C’est un univers qui est atomisé, un autre à reconstruire et à apprivoiser.
Si l’aînée, Caroline, déjà en âge de s’envoler loin du nid, se montre moins féroce, Emma, elle, est révoltée. La séparation du couple semble même passer en définitive au second plan dans son imaginaire. Qu’est-ce qui est le plus bouleversant ? Cette sensation de perdre un père ? De se retrouver d’un coup avec deux mères ? Faire gober aux copines que cet individu mal fagoté, à l’aspect un brin risible avec ses trop grands pieds, est une femme ? Si l’esprit de Thomas a trouvé sa voie, il est encore engoncé dans les maladresses d’un corps qui se cherche et auquel il va lui falloir tout réapprendre. Plus vraiment Thomas, mais pas encore complètement Agnete, cette femme qu’il est en train de devenir. C’est une étrange chose que d’opérer une mue, en quelque sorte, en même temps que sa propre progéniture. C’en est une autre que de parvenir à le faire accepter à un âge où l’intégration sociale, le désir de se fondre dans le regard des autres ados sont si importants… Même s’il y a de l’amour et que la vie en bout de ligne recèle autant de tragédie que de comédie…