Zéro de conduite
On vous le dit tout net : vous allez ressortir de Swagger (prononcer swagué, voir plus bas), estampillé « documentaire social » et « film sur les banlieues », avec au minimum des étoiles dans les yeux, un large sourire en travers du visage – et une irrésistible envie de partager autour de vous cette pépite solaire et inclassable.
Il s'agit ni plus ni moins, au-delà du pur plaisir de cinéma que procure le film, de décloisonner nos représentations. Sans chercher midi à quatorze heures, aller à rebours des idées préconçues et des images toutes faites, simplistes et réductrices, véhiculées essentiellement par une télévision friande de clichés débiles et par un certain cinéma, qui n'a d'autre ambition qu'une diffusion en prime time sur cette même télévision. De fait, pour faire grimper l'audimat, les chaînes, infos comme généralistes, exploitent ad nauseam les sujets bien anxiogènes, bien racoleurs, sur « les cités », inépuisable réservoir à fantasmes en tous genres, dans lequel on s'empresse de confondre les populations en un indiscernable magma sociologique, une globalité « étrangère » et « problématique » qui ne trouverait de solution que radicale et impliquant l'utilisation du kärcher…Déconstruire, comme le dit Ken Loach, le « récit des puissants », descendre dans les rues, squatter les cages d'escaliers, entrer dans les classes, et surtout prendre le temps de voir et d'écouter, c'est tout le projet d'Olivier Babinet, qui a bossé pendant plusieurs années avec les gamins du collège Claude Debussy d'Aulnay-sous-Bois. Dans un premier temps, les aider à se réapproprier leur Histoire, leur imaginaire et leur image en animant un atelier de réalisation de courts métrages. Puis, très vite, en baladant sa caméra autour d'eux, à leur hauteur, en mettant en scène, avec eux, leur vie réelle, leur vie rêvée et enfin, lors de magnifiques entretiens, sobres, face caméra, en captant avec beaucoup d'attention et de respect leurs paroles sur des sujets aussi essentiels que leur perception de leur vie, leur environnement, leurs espoirs, leurs amours, leurs ambitions.
Le résultat, extrêmement élégant, soigné et touchant, est un euphorisant mélange de documentaire et de fiction, qui oscille entre le témoignage et le rêve éveillé. Avec une rare attention, Olivier Babinet met un point d'honneur à ne jamais laisser poindre le moindre jugement, la moindre condescendance, ni dans le propos du film, ni dans les images. Tout à l'inverse des représentations habituelles des ensembles de tours et de leurs habitants, il semble déterminé à donner à ces belles paroles, à ces confessions parfois intimes, l'écrin le plus valorisant que le cinéma puisse offrir. À l'arrivée, l'alternance des témoignages, des thématiques, des fantasmes construit avec douceur et générosité le portrait impressionniste d'une jeunesse pleine de rêves et de sève qui affirme sa singularité. Qu'on se le dise, en plus d'être d'une rare intelligence, Swagger est un film incroyablement beau à voir. Pour les non-comprenants et amputés du vocabulaire dans mon genre, SWAG [swag], adjectif, est un anglicisme (ré-)apparu dans les années 2000. Être (trop) « swag », nous dit le dico, c'est avoir du style, être charismatique. Plus cool que « cool », c'est plus largement se démarquer, être sûr de soi, susciter l'admiration. C'est être chic en toute circonstance. Par extension, le verbe « swagger », avoir le swag, venu tout doit du Songe d'une nuit d'été de Shakespeare, signifie « rouler des mécaniques », « parader », « plastronner », « avoir fière allure ». Et c'est peu dire qu'ils l'ont, fière allure, les jeunes héros de Swagger (le film), Aïssatou, Mariyama, Abou, Nazario, Astan, Salimata, Naïla, Aaron, Régis, Paul et Elvis. Ils illuminent littéralement l'écran. Et indéniablement, le film lui-même, mi-fiction, mi-documentaire, hors des genres, hors des modes, avec une audace et une classe folles, a trop le swag.