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Maria ne s’appelle pas Maria. C’est le nom qu’elle porte depuis qu’elle a pris les armes pour rejoindre la guérilla, au cœur de la forêt amazonienne de Colombie. Un surnom (« alias » en espagnol), un pseudonyme, un nom de guerre, la marque que celle qu’elle était avant n’est plus, et qu’elle a perdu, en embrassant la cause, son nom de baptême et les traces de son passé.
De Maria on ne saura pas grand chose. Ni pourquoi elle a rejoint les FARC – à moins qu’elle n’ait été enrôlée de force – ni ce qu’était sa vie. Ses parents, son village, sa famille : tout cela n’a plus d’importance pour elle et n’en aura pas plus pour nous, spectateur. Maria est une compañera, soldate armée et en treillis d’un commando composé essentiellement de femmes, souvent très jeunes. Un visage encore potelé par les rondeurs de l’enfance, un corps qui a poussé trop vite, un regard bien trop profond et trop triste pour que l’on puisse oser croire que la jeune vie de Maria fût un fleuve joyeux et insouciant. Et Maria aura beau jouer à faire craquer le vernis rosé de ses doigts abîmés, comme le font les petites filles se rêvant déjà devenues femmes, on voit bien qu’elle a perdu depuis bien longtemps l’innocence de ses treize ans.
Dirigé forcément par un homme qui manie en un savant dosage paternalisme, autoritarisme et ce qu’il faut d’attentions pour contrôler ce drôle de gynécée, le commando doit rejoindre un lieu plus sûr. La jungle est l’immense champ de la terrible bataille que se livrent depuis des décennies les Forces Armées Révolutionnaires Colombiennes, l’armée gouvernementale, les narco-traficants et les milices para-militaires. Une guerre sanglante dont les civils, paysans, femmes, enfants, sont les premières victimes. Et comme Maria, bon nombre d’entre eux rejoignent les rangs des FARC, par soif d’un idéal de justice et d’équité, par l’attrait des armes et du pouvoir qu’elles confèrent mais aussi sans doute parce qu’elles offrent un toit, une protection, des repas et même les précieux services d’un médecin dont ce peuple oublié est privé.
Peut-être parce qu’elle est plus coriace et déterminée que les autres, ou simplement par hasard, Maria se voit confier une mission : transporter en lieu sûr le nouveau-né du commandant. Car en dépit des précautions et des avortements pratiqués régulièrement, des bébés naissent dans la jungle. Accompagnée de deux soldats et d’un gamin encore plus jeune qu’elle à qui l’on a donné une arme et un barda deux fois plus lourd que sa maigre carcasse, Maria s’enfonce au cœur de la forêt, le bébé contre son sein.
Nous allons suivre cette improbable expédition au plus près des corps et des souffles, au plus profond du ventre de la jungle, qui définit un étrange huis-clos oppressant et moite où chaque pas de travers peut-être fatal. Le danger est partout et les règles de la guérilla, sans pitié, sont appliquées à tous, quelque soit le sexe ou l’âge.
C’est un film très fort qui n’épargne ni ses personnages, ni le spectateur et oui, c’est un film secouant, qu’il faut encaisser comme on encaisse les mauvaises nouvelles de notre monde, si violent. Mais au-delà de la dimension documentaire du film, qui s’inspire bien évidemment de la brutale réalité de la Colombie et de ses guerres internes, sans pourtant jamais poser un regard moralisateur ou inquisiteur, Alias Maria est surtout le portrait bouleversant d’une gamine luttant pour sa survie. Sa force vive, son courage, mais aussi son empathie et son désir incandescent de se sortir de ce bourbier résonnent comme les promesses fragiles d’une vie meilleure, loin de la violence arbitraire, des règlements de comptes, de la prédation des mâles.