Éloge de la mélancolie
Avec l'argent de son prix Nobel, l'écrivain turc Orhan Pamuk a ouvert un étonnant musée dans un vieux quartier populaire d'Istanbul - un musée-fiction, fascinante mise en abyme de son huitième roman, Le musée de l'innocence (Gallimard, 2011), histoire d'un amour impossible qui revit à travers une collection fétichiste d'objets. Dans la maison qu'aurait habitée dans les années 1970 la belle Füsun, héroïne du roman, et que Kemal, son amoureux, aurait achetée après sa mort, sont exposées 83 vitrines faisant écho aux 83 chapitres du livre. Avec comme points de départ le texte et le lieu, ce film propose une déambulation nocturne et onirique dans les rues de la métropole turque, peuplées de souvenirs et de mélancolie - le husun, saudade locale dont Pamuk donne sa propre définition, d'une savoureuse amertume. Les voix de Kemal et d'Ayla, voisine et amie de Füsun, se mêlent à celle de l'écrivain. L'ancienne vedette de cinéma Türkan Soray, le photographe Ara Güler, un chauffeur de taxi, un marin de ferries, un chiffonnier évoquent en parallèle leur relation aux perpétuelles métamorphoses d'Istanbul. Une méditation délicieusement labyrinthique sur la perte, l'amour et la ville, devenue pour Pamuk (qui avoue ne l'avoir jamais quittée, même quand il était censé s'être exilé) une partie de lui-même, "comme une extension de [son] propre corps".