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FESTIVAL DE CANNES - COMPÉTITION
Viol et châtiment
Elle est le 16e long métrage du cinéaste néerlandais Paul Verhoeven, depuis Qu’est-ce que je vois? (1971), mais le premier en compétition à Cannes, où il a présenté en ouverture Basic Instinct en1992. Le réalisateur de RoboCop (1987), Total Recall (1990) et Starship Troopers (1997) met en scène l’adaptation par David Birke – scénariste spécialisé dans le cinéma de genre – du roman Oh… de Philippe Djian (Éd. Gallimard). Un auteur qui a déjà inspiré plusieurs films dont 37 2° le matin de Jean-Jacques Beineix (1986),Impardonnables d’André Téchiné (2011) et L’amour est un crime parfait des frères Larrieu (2013). Isabelle Huppert y campe la patronne d’une société de jeux vidéo qui entreprend de traquer et de harceler l’inconnu qui l’a violée. Jusqu’à la folie. Un rôle pour lequel ont été pressenties tour à tour Nicole Kidman, Marion Cotillard, Diane Lane, Sharon Stone et Carice van Houten (révélée par Verhoeven dans Black Book en 2006), avant que le tournage ne soit rapatrié de Boston à… Saint-Germain-en-Laye. Le réalisateur, auquel on a prêté d’innombrables projets au fil des ans, annonce un film sur la résistance française provisoirement intitulé Lyon, avec le même producteur, SBS. La sortie française est prévue le 25 mai, le long métrage devant être distribué aux États-Unis par Sony Pictures Classics.
Huppert movie
Isabelle Huppert n'a pas remporté le Prix d'interprétation féminine cette année à Cannes. Il n'y a qu'une explication possible à cette absence au palmarès, c'est qu'elle était hors concours ! Elle livre dans Elle une performance proprement hallucinante, qui est une sorte d'apothéose de tout ce qu'elle a pu jouer au cinéma dans le registre de la femme forte et borderline à la fois. On pense à son rôle dans La Pianiste bien sûr, mais la palette ici est plus large, la précision, la complexité, la virtuosité plus impressionnantes encore. Rien que pour voir Huppert à l'œuvre, il faut absolument voir le film de Verhoeven.
Huppert est Michèle, dirigeante – regina imperatrix – d'une société de création de jeux vidéo qui a tout réussi, même son divorce… Belle maison de meulière dans la chic banlieue ouest de Paris, fils bordélique mais aimant, meilleure amie qui est aussi son associée, ex-mari largué mais resté complice. Rien ne semble pouvoir obscurcir sa vie de femme épanouie et indépendante. Jusqu'au jour où, brisant le calme paisible de sa demeure, surgit un agresseur masqué, et la brutalité du viol est d'autant plus terrifiante qu'elle surprend totalement : et pour cause, c'est la scène d'ouverture !
Une fois le choc passé, le plus troublant est peut-être la réaction de Michèle : au lieu d'appeler médecins, policiers… elle va prendre un bain, panser ses plaies, prétendre auprès de son fils et de ses amis une chute de vélo, et continuer de vaquer à ses occupations personnelles et professionnelles habituelles. Elle va juste se contenter de demander à faire changer ses serrures… Et puis, sentant au fond d'elle même que son agresseur masqué ne lui est peut-être pas inconnu, elle va mener l'enquête, chasser le prédateur… Est ce l'un des brillants et inquiétants créateurs de jeux pour adolescents, un peu trop accros à l'adrénaline et aux plaisirs violents ? Ou quelqu'un d'encore plus proche ?
Elle est un thriller psychologique haletant, volontiers malaisant comme disent encore nos cousins québecois, que n'aurait pas renié le grand Alfred. Un thriller qui plonge aux tréfonds des recoins les plus sombres de l'âme humaine: autant celle de l'agresseur présumé, dont le spectateur doute jusqu'au bout de l'identité, que de sa victime, dont la psychologie est parfois tout aussi inquiétante. Et le film pose la question intime de la réaction à une agression aussi terrible qu'un viol, quand on est en l'occurrence une femme indépendante qui a toujours géré sa vie sentimentale, sexuelle et professionnelle d'une main de fer, en l'occurrence encore quand on a vécu une enfance marquée par le tragique et la violence.
On ne s'étonnera pas que Paul Verhoeven – que certains journalistes facétieux ont affublé du sobriquet de « hollandais violent » – se soit intéressé à cette intrigue plus que troublante imaginée par Philippe Djian dans son roman Oh. Verhoeven, qui a débuté dans les années 70 aux Pays Bas avec des films qui plongeaient dans les rapports ambigus entre le sexe, le plaisir et la violence (il faut découvrir d'urgence le génial Turkisch Delices avec Rutger Hauer), s'est ensuite illustré avec des films hollywoodiens qui ont toujours combiné le spectacle, le divertissement et une vision extrêmement dérangeante de l'humanité et des systèmes sociaux dont elle s'est dotée (La Chair et le sang, Robocop, Total Recall, Starship Troopers…).
Aujourd'hui, à bientôt 80 ans, Paul Verhoeven n'abandonne rien de ses thématiques inconfortables ni de ses obsessions périlleuses. Il a par contre acquis une maîtrise de son art du récit et de la mise en scène qui en favorisent une expression sans doute plus forte, en tout cas plus subtile.