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Dans le petit matin gris, une troupe progresse à travers un massif montagneux. Des marcheurs qui pourraient paraître paisibles s'ils n'étaient harnachés comme des chevaliers teutoniques ! Nous sommes en Afghanistan et nous cheminons avec précaution aux côtés d'un petit groupe d'hommes du corps expéditionnaire danois en charge de protéger les populations et de maintenir l'ordre dans les villes et les campagnes. Une simple opération de police, comme l'affirmaient sans rire les autorités françaises à l'époque du « maintien de l'ordre » en Algérie. Hier, les Aurès avec l'armée française, aujourd'hui la province de Helmand avec l'armée danoise. Mêmes contreforts escarpés, même végétation chiche, même villages misérables accrochés à la montagne, mêmes opérations qui se disent de simple police alors qu'il s'agit bien d'une guerre.
A war d'ailleurs, dès les premières images, nous enfonce bien cette évidence dans le crâne. Une explosion violente éclate comme pour nous confirmer que l'on ne joue pas un remake de La Grande vadrouille. Un des hommes du petit groupe vient de sauter sur une mine, posée la nuit précédente par les talibans. Dans un plan aussi sec que la caillasse alentour, se vide de son sang un jeune corps qui tressaille, les yeux chargés d'effroi à l'approche de la mort. Une chose tellement incongrue à cet âge de la vie, pendant que tout autour s'affolent les copains qui découvrent avec stupeur que la guerre peut tuer, tandis que se déploie la mobilisation du ban et de l'arrière ban de la chaîne de commandement pour disputer les restes pantelants du gamin à la camarde.
Rien de tel, se prend on à penser, que des instants semblables pour comprendre toute l'absurdité d'un tel conflit. Mais que venait-il faire dans cette galère, cet heureux rejeton d'un petit pays fait pour le bonheur ?
Alors, bien sûr, on sait que, là ou ailleurs, il n'est plus d'usage d'enseigner l'histoire à nos chères têtes blondes. Mais quand même, nier à ce point la spécificité de l'Afghanistan relève d'une singulière ignorance de son histoire, car, excusez du peu, ce pays et ses habitants d'une incroyable rudesse se montrèrent toujours rétifs à toute forme d'intrusion au point que même le Royaume Uni, la puissance coloniale championne toutes catégories, dont on disait que le soleil ne se couchait jamais sur son empire, dut plier bagage craintivement à la fin du 19e siècle devant la résistance acharnée des autochtones. Un siècle plus tard, ce fut au tour des Soviétiques de s'y casser les dents. Et aujourd'hui les Américains, largement tenus en échec par les talibans, et qui devront sans aucun doute quitter le pays un de ces jours. On peut, du coup, s'interroger sur les raisons qui poussèrent ce petit pays d'Europe du Nord à embarquer des troupes dans une pareille aventure et ce d'autant plus qu'engoncé dans son humanisme et son respect de l'état de droit, ce pays de cocagne n'était pas le plus armé pour affronter un conflit dans lequel tous les coups sont permis, même les plus tordus. L'histoire en effet nous rappelle aussi de quoi furent capables Anglais, Russes et Américains dans leurs guerres coloniales pour imposer leurs lois.
Et c'est tout le sujet de ce film ardent et généreux : comment ce petit pays, pétri d'humanité et de respect des droits de l'homme, peut-il s'inscrire sans perdre son âme dans une guerre d'une barbarie absolue faite sur mesure pour des barbares ? Cette interrogation fondamentale et passionnante s'incarne à la fois sur le champ de bataille et en dehors, au pays, d'abord au sein de la famille du commandant du petit groupe, puis à son retour, lorsqu'il doit s'expliquer devant un tribunal d'une de ses décisions sur le terrain, qui eut des conséquences dramatiques. Cette seconde partie danoise donne une vraie ouverture au film et une résonance accrue à ses questionnements moraux.