Danser sa vie comme d'autres se contentent de vouloir la réussir, c'est bien le désir que Polina a chevillé au corps. Élève toute gamine, dans son Moscou natal, du célèbre autant qu'intransigeant professeur Bojinski, elle sait que, malgré les difficultés, malgré les obstacles, malgré le regard dur et les remarques sans pitié de son maître – qui certes la rabroue en permanence mais ne cesse de s'intéresser à elle de près, signe qu'il a bien repéré chez elle le feu sacré – elle sera danseuse, grande si possible mais danseuse quoi qu'il en soit, quoi qu'il en coûte. Précisons ici que le rôle de Polina devenue adolescente puis jeune femme est remarquablement interprété par une danseuse de haut vol : Anastasia Shevtsova, pensionnaire du Théâtre Mariinsky de Saint-Pétersbourg, l'une des compagnies de ballet les plus prestigieuses au monde.
Soutenue par ses parents, elle prépare avec acharnement son entrée à l’école de danse du Bolchoï : des heures et des heures d’entraînement et peu de loisirs. Les séquences en salle de répétition, où la grâce et la beauté dominent, se mêlent au quotidien plus prosaïque de Polina, où l’harmonie familiale est perturbée par la menace des créanciers de son père, qui fait des affaires plus ou moins louches avec des gens plus ou moins recommandables.
Pour échapper à cet univers, pour se libérer de la discipline tyrannique de la danse classique à la russe, et aussi par amour pour Adrien (Niels Schneider, qui se révèle danseur parfaitement crédible), elle quitte le Bolchoï qu'elle vient à peine d'intégrer pour la France, Aix-en-Provence plus précisément, où elle découvre la danse contemporaine grâce à une professeure d’exception, Liria (Juliette Binoche, dont on sait qu'elle a travaillé sur scène il y a quelques années avec l’un des danseurs les plus novateurs de la scène mondiale, Akram Kahn).
C’est à Liria qu’il incombera d’ouvrir les yeux de la monomaniaque Polina, trop obsédée par la technique : « un artiste doit savoir regarder le monde qui l’entoure », lui dit-elle. C’est de là que commence la troisième vie de la danseuse en construction. Après sa rupture ave Adrien, elle part pour la Belgique où elle découvre l’art de l’improvisation avec Karl (superbe Jérémie Bélingard, étoile de l’Opéra de Paris) qu'elle rencontre lors d'ateliers hip-hop qu'il anime pour des jeunes. Et suivant les conseils de Liria, Polina observe les mouvements des gens dans la rue, leur comportement dans le bar où elle travaille comme serveuse. Elle comprend qu’elle ne veut plus danser les pas codifiés par d’autres, mais bien imaginer les siens, et devenir chorégraphe.
Polina, danser sa vie, n'est pas une gentille success story édifiante, le parcours de notre héroïne sera difficile, chaotique, douloureux parfois. Et la gloire n'est pas forcément au bout du chemin. Mais le film est exaltant car habité dans chacun de ses plans ou presque par la passion de la danse, porté par de nombreuses séquences de répétition, de travail, de pratique acharnée. Et il se conclut en majesté – ce n'est pas gâcher le plaisir de la découverte que de vous le dire – par un pas de deux interprété sur scène – chorégraphié bien sûr par Angelin Prejlocaj – d'une beauté et d'une émotion qui vous transportent.