Errance mystique
On savait le fantas(ti)que João Pedro Rodrigues susceptible de déchaîner les passions de ses spectateurs enfiévrés. En août dernier, dans l'atmosphère estivale du si beau festival suisse de Locarno, le dernier opus du cinéaste portugais a non seulement été primé mais a provoqué l'exaltation de la critique. Le correspondant de Libération déclarait, tout à sa dévotion après la projection, que « seule la stupeur empêchait ses spectateurs de se jeter à genoux dans les travées de l’auditorium ». Votre serviteur a évité la génuflexion, mais il faut bien reconnaître que Rodrigues nous a mis une sacrée claque tant son film inclassable, entre western naturaliste, conte médiéval hors du temps et quête mystique autant qu'érotique, surprend à tout instant. Un voyage intérieur et fantastique. Car c'est bien de lui même que Rodrigues a nourri son personnage principal, qu'il va habiter au point de se substituer à lui sous forme d'apparition…
Le personnage central, c'est Fernando, un ornithologue – il faut savoir que Rodrigues, avant d'être cinéaste, fut ornithologue – qui a décidé de remonter en kayak le cours d'une splendide vallée du Portugal afin de mieux observer échassiers et rapaces qui nichent sur les falaises qui la surplombent. Les quinze premières minutes sont d'un naturalisme fascinant, la mise en scène restituant toute la splendeur de la nature et des oiseaux observés au loin.
Le sort de Fernando va basculer quand la nature va reprendre ses droits et qu'il va être emporté par un rapide, le laissant inanimé sur la rive, puis secouru par des pèlerines chinoises de Saint-Jacques-de-Compostelle égarées ! Tout lecteur ayant sérieusement suivi son catéchisme dans ses jeunes années ou étant d'origine portugaise aura repéré l'allusion au destin de Saint Antoine de Padoue, ce riche descendant portugais de Charlemagne, qui renonça aux richesses pour devenir moine franciscain et dont la légende médiévale veut que de retour du Maroc, il fit naufrage et échoua sur les côtes siciliennes avant d'être recueilli par d'autres franciscains. Mais chez Rodrigues, qui nous livra quelques petits bijoux pasoliniens , le récit ne pouvait être une simple adaptation littérale et orthodoxe de la vie d'un saint : les pèlerines chinoises vont finir par ligoter et séquestrer l'ornithologue dont elles apprécient peu l'athéisme… tout en désirant sa musculature digne d'un Saint Sébastien du Caravage. Fernando/Antoine va bien comme dans la légende rencontrer Jésus mais pour mieux consommer l'amour charnel avec lui… Autant dire que l'errance géographique et mystique de notre ornithologue égaré va vite se transformer en quête érotique et mystique aux multiples rebondissements.
Rodrigues filme les corps masculins aussi superbement que la nature, il magnifie le très beau et charismatique Paul Hamy, auquel il se substitue à plusieurs reprises, comme annoncé plus haut, en autant d'apparitions poétiques et sidérantes. Mais après tout, Antoine n'avait il pas selon la légende le talent de bilocation, tous les chemins menant à Padoue ?